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lundi, 4 décembre 2023
Notre gros cerveau entraîne une naissance prématurée et bien d’autres conséquences

J’écoutais vendredi dernier l’émission de radio Moteur de recherche en faisant la vaisselle et un segment qui parlait du cerveau a attiré mon attention. La question posée était pourquoi l’être humain donne-t-il naissance à des bébés aussi vulnérables? Je ne fus pas surpris d’entendre le chroniqueur évoquer comme explication la descente du bassin et l’étroitesse du canal pelvien que la bipédie a amené chez notre espèce, faisant en sorte que le bébé humain, avec son gros cerveau, doit sortir prématurément, pour ainsi dire. D’où cette vulnérabilité qui découle de ce qu’on appelle la néoténie, le fait de naître et de conserver des caractéristiques immatures. Mais je fus davantage surpris de l’entendre dire que cette hypothèse était remise en question au profit d’une autre mettant l’accent sur le coût énergétique élevé du développement du cerveau.

La sélection naturelle aurait alors favorisé la naissance d’enfants prématurés, avec un cerveau inachevé parce que la demande énergétique considérable de ce gros cerveau en croissance deviendrait trop grande pour la mère vers la fin du neuvième mois, ce qu’on appelle la « energetics of gestation and growth hypothesis« . N’ayant que vaguement déjà entendu parlé de cette idée, j’ai cherché un peu et j’ai trouvé cet article de 2012 intitulé Metabolic hypothesis for human altriciality qui défend cette explication où l’allaitement, qui prend alors la relève après l’accouchement, serait un mécanisme de transfert de nutriment plus efficace et moins demandant pour la mère.

Mais j’ai aussi trouvé un autre article publié celui-là en 2021 qui montre qu’il y a encore bien des points qui appuient l’hypothèse du rétrécissement du bassin que l’on nomme en anglais « the obstetrical dilemma hypothesis ». D’où le titre de l’article : The obstetrical dilemma hypothesis: there’s life in the old dog yet. Comme souvent en science, il se pourrait donc que les deux hypothèses débattues aient pu jouer en même temps.

Je dis ça sous toute réserve, car je ne suis évidemment pas spécialiste en paléontologie. Mais je suis justement en train de faire une relecture finale du second chapitre de mon livre, et j’y retrouve l’influence d’énormément de facteurs qui ont pu favoriser l’expansion cérébrale chez Homo sapiens, et toutes les autres caractéristiques spécifiques de notre espèce. Dont plusieurs ne nous apparaissent pas particulièrement originales parce qu’on « baigne dedans », comme on dit. Le fait, par exemple, que les femmes peuvent avoir plusieurs enfants non sevrés en même temps. Un simple regard du côté des autres primates montre en effet qu’il s’agit d’une caractéristique assez unique chez notre espèce. Un phénomène qui aurait probablement été favorisé par l’aide apportée aux mères par les grands-mères chez notre espèce, comme le mentionnait le chroniqueur de Moteur de recherche. Encore une fois, j’avais déjà entendu parlé de ce phénomène, mais chez les épaulards, ces baleines à dents qui vivent en groupe dont les grands-mères peuvent être très utiles pour trouver de la nourriture à certains moments difficiles.

Mais à part ce cas particulier chez les baleines, l’humain serait probablement la seule espèce où les grands-mères aident autant leur fille pour, entre autres, trouver de la nourriture à leurs petits-enfants. Et c’est ce qui aurait fait en sorte que les femelles d’Homo sapiens peuvent avoir plusieurs enfants dépendants en même temps durant plusieurs années. Tout cela, ainsi que les origines évolutives de la ménopause, est fort bien exposé dans un excellent article que j’ai trouvé durant la même recherche et qui s’intitule How Much Did Grandmothers Influence Human Evolution?

Par la suite, d’autres primatologues comme Bernard Chapais ont montré que la contribution du père aux soins parentaux va aussi devenir déterminante, contrairement aux autres primates dont les petits peuvent se nourrir seuls passé l’âge du sevrage. Et à partir de là, d’innombrables autres facteurs que j’évoque dans mon livre vont découler de cette dépendance juvénile prolongée et de cette contribution du père aux soins parentaux, comme un couple monogame relativement stable chez notre espèce, la reconnaissance étendue de notre parenté tant du côté de notre mère que du côté de notre père, la tendance à faire alors des alliances entre des groupes où nos enfants se retrouvent, la formation de groupes de plus en plus complexes, etc., comme je le racontais aussi lors d’une conférence donnée lundi dernier.

La morale de cette histoire, c’est que si vous êtes en train d’écrire un livre qui raconte entre autres notre longue histoire évolutive, faites attention lorsque vous faites la vaisselle en écoutant une émission qui pose des questions scientifiques. Vous ne savez jamais où ça peut vous mener… et le nombre de références que ça peut vous faire rajouter dans votre livre déjà trop gros !  😉

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