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lundi, 4 octobre 2021
Les multiples dimensions de la douleur, du moléculaire au social

« Si tu ressens la douleur, tu es un être vivant. Si tu ressens la douleur des autres, tu es un être humain. »  – Léon Tolstoï

 

Je suis tombé par hasard ce matin sur cette citation attribuée à Léon Tolstoï au sujet de la douleur alors que j’ai justement eu une discussion là-dessus hier avec un ami. Et tout de suite après, j’apprends que le prix Nobel de physiologie ou de médecine a été décerné plus tôt aujourd’hui aux Américains David Julius et Ardem Patapoutian, pour leur découverte sur les “récepteurs concernant la température et le toucher”. Et comme Julius a utilisé la capsaïcine, un composant actif du piment qui provoque une sensation de brûlure, pour caractériser un récepteur qui réagit à la chaleur, cet autre lien avec la douleur venait me convaincre d’en faire le sujet de mon billet d’aujourd’hui !

D’autant plus que je crois bien que la dernière fois que j’en avais parlé, ça remonte à il y a deux ans alors que je présentais ici le contenu de la quatrième séance de ma série Notre cerveau à tous les niveaux donnée à l’UPop Montréal. J’y évoquais par exemple ce qui se passe peu après que les récepteurs sur les fibres nerveuses responsables de la douleur, les fibres A delta ou C, aient été activées : des circuits de quelques neurones peuvent alors déjà accomplir des calculs (ou des « computations ») qui vont nous permettre de distinguer par exemple la douleur aigüe mais brève d’une piqure versus la douleur diffuse mais constante d’une brûlure.

Au niveau d’organisation suivant, celui des structures cérébrales impliquées dans la sensation douloureuse, je renvoyais assez vite au sous-thème sur la douleur que j’avais publié dans Le cerveau à tous les niveaux en 2010. Parce que ce qu’on a longtemps appelé la « matrice de la douleur »  est un réseau de structures cérébrales avec de nombreux « hubs » bien connus mais impliqués aussi, comme toujours dans notre cerveau, dans d’autres fonctions. On pense ici à la substance grise périaqueducale, au cortex cingulaire antérieur et postérieur, à l’insula, à l’amygdale, à l’hypothalamus ou au thalamus.

Pour en revenir à nos prix Nobel du jour, fidèle à l’approche par niveaux de mon site, je m’étais attardé à décrire ces récepteurs à la douleur ou nocicepteurs ainsi que les principaux neurotransmetteurs impliqués dans sa transmission comme le glutamate et la substance P. Et j’avais fait cet encadré pour expliquer les effets complexes de la capsaïcine qui provoque donc une sensation de brûlure en se fixant sur un récepteur particulier appelé TRPV1, situé sur nos nocicepteurs, d’où la sensation de brûlure quand on mange des piments forts. J’y expliquais aussi que le contact prolongé de la capsaïcine avec son récepteur désensibilise celui-ci. Et que :

« Ironiquement, la capsaïcine peut donc aussi produire une analgésie causée en partie par une déplétion en substance P. La capsaïcine est ainsi l’un des ingrédients principaux de certaines crèmes analgésiques et anti-inflammatoires qui sont utilisées contre de simples douleurs aux muscles ou aux articulations, mais aussi contre des douleurs plus difficiles à traiter comme l’arthrite et les douleurs neuropathiques. Ces crèmes contiennent souvent un autre ingrédient comme la lidocaïne qui permet de diminuer la sensation de brûlure initiale due à la capsaïcine. »

Voilà peut-être le genre de retombées concrètes qui ne peuvent pas nuire pour avoir un jour le prix Nobel…

Pour en revenir à la citation de Tolstoï maintenant, l’approche par niveau de mon site m’avait aussi permis, au niveau social de ce sous-thème sur la douleur, de parler d’empathie, de sympathie, de compassion et de sollicitude. Il s’agit là, à n’en pas douter, de nuances subtiles dans les façons qu’ont les humain de partager la douleur des autres. Un comportement dont les bases semblent toutefois remonter à beaucoup plus loin évolutivement parlant puisque des comportements semblables sont connus chez d’autres primates et même chez le rat !

Quand à ma discussion récente sur la douleur, elle portait sur la question classique de savoir si les autres animaux ressentent de la douleur « comme nous ». Comme les humains, certainement pas, car nous avons cette capacité unique de construire des concepts et de les projeter sur des sensations corporelles qui deviennent autant d’émotions typiquement humaines. Un animal n’ayant pas le langage ne fait évidemment pas ça. Mais est-ce qu’il peut ressentir quand même une forme de douleur ? Le contraire serait bien étonnant. Car il y a une continuité dans la complexité des systèmes nerveux, même si le volume cérébral humain a littéralement explosé depuis environ deux millions d’années. Cela veut dire que tant les structures cérébrales que ses composantes neuronales et même moléculaires sont généralement très bien conservées. On retrouve un hypothalamus et un thalamus chez le chimpanzé, le chat ou le rat tout comme chez l’humain. Avant les mammifères, ça se complique alors un peu parce que ça peut changer de nom, mais l’idée dans tout ça c’est celle d’une complexification croissante des systèmes nerveux qui amène des possibilités d’intégration toujours plus grande. Cela dit, une chose demeure depuis les tout début : la nécessité de protéger l’organisme contre les dangers, contre tout ce qui pourrait le déstructurer, le détruire. Et pour ça la nature a dû inventer très tôt ce qu’on appelle dans le jargon un « proxy » qui, dans ce cas-ci, correspond à ce sentiment de mal être qu’on appelle la douleur. Et c’est ce sentiment désagréable qui va appeler à une action pour le faire cesser et ainsi, ultimement, préserver l’intégrité de l’organisme.

Je vous laisse avec cet extrait de ce billet écrit en 2012 et qui montre que les débats allaient déjà bon train sur cette question :

Des expériences menées à l’université Queen’s, à Belfast, en Irlande du Nord, tendent à prouver que ces crustacés ressentent effectivement la douleur. Les scientifiques appuient leur hypothèse sur une série d’observation faite sur les homards suite à l’administration de chocs électriques, comme le fait qu’ils tentent de prendre soin de la région soumise aux chocs ou que l’on note une élévation du taux d’hormones de stress dans l’animal.

On a longtemps pensé que parce que les invertébrés n’avaient pas de cortex cérébral (une région du cerveau associée à la douleur chez l’humain), ils ne pouvaient avoir que des réponses réflexes aux stimuli douloureux. Cela semble de toute évidence faire moins consensus qu’avant dans la communauté scientifique.

[…] les invertébrés, comme les crustacés […], sont-ils conscients ? Bien sûr, il faudrait savoir de quelle « conscience » on parle ici. Sans doute pas une conscience individuelle « réflexive » comme on le dit pour la conscience d’un être humain qui a l’impression que c’est lui-même qui perçoit les choses. Mais d’une forme de conscience primaire, d’un « feeling » de quelque chose qui serait le monde [d’un invertébré] (ou le monde d’une chauve-souris, pour reprendre le titre d’un article fameux sur le sujet).

L’échange qui suit le résumé de la conférence donnée par Wayne Sossin à l’École d’été sur la conscience 2012 à Montréal en juillet dernier montre bien que la question est loin d’être réglée…

L'émergence de la conscience | Comments Closed


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