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mardi, 16 janvier 2018
Un cerveau divisé en deux, ça donne une ou deux personnes ?

Un peu comme la semaine dernière, on pourrait dire que les travaux dont on va parler cette semaine remettent en question une série d’expériences devenues des classiques en sciences cognitives, celles sur les patients à cerveau divisé (« split brain », en anglais).

Vous me direz : c’est dans l’ordre des choses que des résultats d’expériences scientifiques soient éventuellement raffinés et/ou remis en question. Mais ces deux cas se ressemblent d’une part par l’importance du corpus expérimental qu’ils ébranlent et, par conséquent, par les remises en question importantes et les perspectives d’interprétation nouvelles qu’elles ouvrent.

Dans le cas des capacités d’intégration neuronale bien plus grande qu’on le croyait, c’était des techniques d’identification de neurone et des modèles computationnels impliquant des circuits de neurones que ces expériences invitaient à reconsidérer. Dans le cas des travaux de Yair Pinto et son équipe, ce sont les conclusions auxquelles étaient arrivés le prix Nobel Roger Sperry et son collègue Michael Gazzaniga sur la nature de la conscience humaine. Pour ces derniers, leurs expériences avec les patients au cerveau dont le gros faisceau de fibres nerveuses, le corps calleux, reliant les deux hémisphères cérébraux avait été coupé (d’où l’appellation de cerveau divisé), les amenaient à conclure que ces personnes se comportaient comme si elles avaient deux consciences qui ne communiquaient pas entre elles.

Les deux articles de Pinto publiés depuis un an arrivent à une proposition différente, bien qu’à la seule lecture des titres de ces articles la différence semble plutôt subtile. Car que ce soit « Split brain: divided perception but undivided consciousness » ou “The Split-Brain Phenomenon Revisited: A Single Conscious Agent with Split Perception”, la nuance entre perception (qu’on assume par défaut comme consciente) et conscience (qu’on assume par défaut comme quelque chose de plus global que la simple perception) n’est pas évidente de prime abord.

Pour tenter de se faire une tête sur la question, il faudrait tout d’abord rappeler quelques expériences classiques de Sperry et Gazzaniga. Comme ça ne se résume pas en quelques lignes et que j’en ai déjà présenté quelques-unes dans cette capsule, je vous renvoie à celle-ci. Ou alors, si vous lisez l’anglais, à cet article écrit par Michale Gazzaniga lui-même en 1998 dans la revue Scientific American qu’il intitulait déjà « The Split Brain Revisited », comme quoi les choses avaient déjà évolué pour lui il y a vingt ans ! Et finalement, il y a ce court article vulgarisé écrit par Pinto lui-même, qui m’a mis la puce à l’oreille sur cette affaire il y a quelques jours à peine sur le site Knowing Neurons.

Peut-être la meilleure façon d’évoquer la différence entre les deux séries d’expériences, celles de Sperry et Gazzaniga et celle de Pinto et al., est de jeter un coup d’œil à l’image en haut de ce billet. Sur la présence ou non d’un objet, difficile d’avoir des résultats si clairement différents. Mais pas sur l’incapacité à comparer des objets dans les deux hémichamps visuels toutefois. C’est ce qui amène l’équipe de Pinto à proposer un modèle explicatif alternatif, le ‘conscious unity, split perception’ model », où les patients au corps calleux coupé auraient deux perceptions visuelles en parallèle qu’elles seraient incapables d’intégrer, mais demeureraient un seul agent conscient (contrairement aux deux consciences, l’une dans chacun des hémisphères, postulées pour les split-brain par Sperry et Gazzaniga).

Ce nouveau modèle bouscule également d’autres modèles plus généraux sur la conscience parce qu’il implique qu’on pourrait être un agent avec une conscience unique malgré deux perceptions visuelles distinctes et non intégrées. Il faut se rappeler ici que bon nombre de théories sur la conscience, appuyées par de nombreuses données expérimentales, se fondent sur l’idée qu’une communication massive et intégrée dans l’ensemble du cerveau est nécessaire pour avoir ce sentiment d’une conscience unifiée.

Est-ce qu’il faut pour autant, comme le fait Pinto à la fin de son article grand public de Knowing Neurons (il est un peu plus prudent dans ses articles scientifiques…), affirmer que leurs résultats « renforcent le mystère de la conscience » ? Ou se demander « comment un cerveau divisé en deux peut encore donner une seule personne ? » et « comment est-ce possible si ces parties (il emploie aussi le mot « module ») ne se parlent même pas entre elles ? » ? C’est certain que finir un article grand public sur de telle question, c’est pour le moins percutant ! Ce l’aurait été sans doute moins s’il avait rappelé ces quelques faits, parmi sans doute plusieurs autres.

D’abord, leur étude n’a été faite que sur deux patients à cerveau divisé. De fait, Pinto explique dans un autre article que le nombre de ces patients toujours vivants diminue grandement avec le temps qui passe, et qu’il faudrait dès que possible confirmer ses résultats sur d’autres de ces patients. Et connaissant la grande plasticité du cerveau, il n’est pas impossible que d’autres voies, peut-être sous-corticales ou impliquant les commissures antérieures ou postérieures, aient pu compenser dans une certaine mesure le transfert d’information d’un hémisphère à l’autre.

Car la question de la variabilité individuelle, surtout suite à une intervention chirurgicale considérée comme exactement la même pour tous ces patients, est forcément en jeu ici. Rappelons par exemple que ce n’est qu’à l’autopsie qu’on a pu cerner avec précision les structures de l’hippocampe enlevées et sauvegardée dans le cas du célèbre patient H.M.

Finalement, Pinto et bien d’autres, dans leur définition de ce qui contribue à la conscience humaine, ne semblent tenir compte que du cerveau. Or certains penseurs des sciences cognitives dites incarnées, comme Francisco Varela, Evan Thompson ou Alva Noë, plaident pour une définition élargie de la conscience impliquant non seulement tout le corps (avec lequel le cerveau est intimement lié au niveau moléculaire, on le sait aujourd’hui), mais aussi l’environnement dans lequel il est situé.

Voilà qui fait une fin d’article moins punchée et plus floue, comme le sont souvent, malheureusement, les questions scientifiques complexes comme celle de la conscience…

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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