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lundi, 22 mai 2023
Journal de bord de notre cerveau à tous les niveaux : les effets bénéfiques de la méditation sur le corps et le cerveau

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Étant toujours dans la phase de relecture finale de mon livre jusqu’à la fin du printemps, je continue son « journal de bord » en y publiant certains encadrés qui n’ont pu, faute d’espace, trouver leur place dans le bouquin. Celui-ci entretenant déjà des rapports étroits avec le site web Le cerveau à tous les niveaux et son blogue grâce à différents renvois, cette conversion ne fait donc qu’étendre une approche déjà présente depuis le début du projet. Ce second encadré extrait du chapitre 8 donne quelques exemples des nombreuses études démontrant des effets bénéfiques de la méditation sur le corps et le cerveau.

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En commençant par tout ce qui a trait à la santé mentale. Un bénéfice souvent rapporté par ceux qui méditent est le recul que ça procure par rapport aux ruminations. Ça aide à ne pas en rajouter, à surinterpréter. On s’aperçoit plus vite qu’on part dans des scénarios hypothétiques négatifs. Ça amène aussi une meilleure régulation des émotions et un meilleur contrôle des impulsions, qui sont moins explosives. On voit mieux venir les envies soudaines de manger, de fumer, d’agresser, de regarder son téléphone, et on peut mieux les gérer. Ça peut même augmenter notre capacité empathique à mieux comprendre les états d’esprits des autres, dans le cas de la méditation tournée vers la compassion. Des formes de méditation se sont aussi montrées efficaces pour amoindrir les symptômes chez les patients anxieux ou déprimés, dans certains cas aussi efficace qu’un traitement par antidépresseurs dans la prévention de rechute dépressive.

Au niveau des effets fondamentaux sur la dynamique fonctionnelle cérébrale, l’une des études phares est sans doute celle de 2004 d’Antoine Lutz et ses collègues du laboratoire de Richard Davidson démontrant que les moines méditants experts étaient capables d’induire consciemment dans leur cerveau des oscillations gamma de grande amplitude très synchronisées entre elles dès qu’ils se mettaient à méditer. Et même quand ils ne méditaient pas, leur activité oscillatoire gamma autour de 25-40 Hertz par rapport aux oscillation plus lentes prédominait davantage que chez les sujets contrôles. D’autres études publiées par la suite suggèrent que l’entraînement à la méditation implique une intégration temporelle particulière dans le cerveau ainsi que des phénomènes de plasticité à court et long terme.

Et plus récemment, on a pu observer cette plasticité chez des enfants du primaire chez qui une initiation de deux mois à la méditation avait augmenté la corrélation négative entre le réseau du mode par défaut et celui du contrôle exécutif, favorisant ainsi une meilleure capacité attentionnelle.

Considérant aussi les effets positifs de la méditation sur la régulation des émotions, on n’a pas été surpris quand des études d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ont montré qu’après deux mois d’entraînement à la méditation, des sujets montraient une activation moindre dans leur amygdale cérébrale lorsqu’ils regardaient des images avec du contenu émotionnel. De plus, ces effets duraient plusieurs semaine après le stage comme on le voit aussi chez les personnes méditantes expertes.

De leur côté, les études d’IRM anatomique ont montré que la méditation pouvait augmenter l’épaisseur du cortex, en particulier dans la région préfrontale, justement connue pour son implication dans la régulation émotionnelle. Ou encore dans la région du corps calleux, pointant vers une meilleure connectivité entre les deux hémisphères.

L’impact positif de la méditation descend même jusqu’au niveau des voies métaboliques, des gènes et de leur méthylation avec la baisse de certains paramètres liés à l’inflammation ! Ce qui amène plusieurs scientifiques et thérapeutes à envisager la retraite de méditation comme un traitement non pharmacologique valable contre l’inflammation chronique. Et quand on sait à quel point le stress prolongé peut provoquer de l’inflammation, et que la méditation peut aussi réduire significativement le stress, on voit à quel point… tout se tient ! Tu seras donc pas surpris d’apprendre que la méditation a aussi un effet bénéfique sur notre système immunitaire, les personnes pratiquant la méditation produisant par exemple plus d’anticorps après l’injection d’un vaccin antigrippal.

Ni même qu’on parle de plus en plus de la méditation comme d’un moyen de réduire les pertes cognitives avec le vieillissement, avec des données montrant une meilleure cognition tant au niveau de l’attention, du contrôle exécutif ou de la mémoire, qu’au niveau neuroanatomique.

J’ai souvent écrit dans ce blogue que le corps et le cerveau ne font qu’un. On a là, avec les effets de la méditation, l’un des plus impressionnants exemples allant en ce sens. Et ça me rappelle la boutade de François de Sales qui disait déjà il y a quatre siècles que sur une base quotidienne, une demi-heure de méditation est essentielle sauf quand on est très occupé. Alors une heure est nécessaire…

Cela dit, il faut faire attention au moins à deux choses avec le « mindful brain » comme l’ont bien souligné Michael Lifshitz et Evan Thompson dans un chapitre d’un livre paru en 2019.

La première c’est que quand on observe des régions corticales qui sont un peu plus épaisses chez les méditants experts, est-ce que ça veut dire qu’ils ont développé ces épaississements à force de méditer ou bien sont-ils devenus des experts à rester concentrés longtemps parce qu’ils avaient déjà ces épaississements qui favorisent cette concentration. Pour départager les deux options, on a fait d’autres études cette fois chez les mêmes individus avant et après des entraînements de plusieurs semaines à la méditation. Et on a aussi trouvé des zones, parfois communes avec les premières études, qui avaient pris de l’épaisseur. Cela dit, comme les techniques d’imageries sont lourdes et coûtent cher, c’est très souvent des études avec moins de 20 individus, ce qui amène des résultats statistiques pas très « puissants », sans entrer dans les détails. Bref, on en est là et il faut donc rester prudent quand vient le temps de parler des modifications cérébrales associées à la méditation.

L’autre grande critique de Lifshitz et Thompson, c’est qu’il faut faire attention à une conception de la méditation trop centrée sur le cerveau. On néglige ainsi l’influence du corps et tout le contexte social. De récentes études ont par exemple montré que la position de notre corps influence son activité cérébrale. Être assis ou allongé sur le dos change l’activité cérébrale de base. On a même démontré que notre posture influence particulièrement l’activité de régions cérébrales ayant des liens avec la méditation, comme le réseau du mode par défaut !

D’autres expériences ont montré comment le contexte social peut avoir des effets importants sur l’expérience subjective de la méditation. L’une d’entre elles suggérait par exemple à la moitié d’un groupe de novices en méditation que celle-ci allait améliorer leur attention et à l’autre moitié qu’elle allait épuiser leurs capacités attentionnelles limitées. Résultats : les participants du premier groupe qui avaient des attentes positives par rapport à l’attention ont effectivement amélioré leurs performances attentionnelles, et ceux du deuxième groupe les ont vues diminuer ! La signification que l’on donne à l’exercice de la méditation semble ainsi pouvoir façonner ses effets subséquents sur notre pensée et sur notre biologie.

Lifshitz et Thompson en appellent donc à une science de la méditation qui doit aller plus loin que la seule recherche des changements cérébraux associés. Parce que comme on l’a vu, ce que la pratique méditative révèle, c’est justement que notre pensée et notre bien-être sont intrinsèquement liés à notre corps et à notre contexte écologique et social au sens large. Un contexte qui peut lui permettre autant d’être un outil d’émancipation et de remise en question qu’une soupape permettant d’endurer les méfaits du système productiviste capitaliste en place.

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