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lundi, 21 février 2022
Journal de bord de Notre cerveau à tous les niveaux : Le « connais-toi toi-même » de Socrate à l’heure des sciences cognitives

Dans la foulée du 20e anniversaire du Cerveau à tous les niveaux, j’ai commencé dans ce blogue le 17 janvier dernier une sorte de « journal de bord » d’un livre sur le cerveau et les comportements humains que j’ai écrit durant la pandémie. Comme j’en ai encore au moins pour un an de vérifications et d’améliorations de toutes sortes avant la publication de l’ouvrage, j’ai pensé consigner ici à peu près chaque mois quelques réflexions inspirées de mon travail de relecture en cours. Cela se veut par conséquent une démarche un peu plus personnelle que les billets que je publie ici habituellement sur des études récentes en sciences cognitives. Et donc je voudrais vous parler aujourd’hui de mon chapitre 1 qui s’intitule : Le « connais-toi toi-même » de Socrate à l’heure des sciences cognitives.

L’un des défis quand on se lance dans tout projet c’est, il me semble, d’apporter quelque chose de nouveau. Bah… on n’apporte jamais grand-chose de complètement nouveau, je sais, mais à tout le moins une approche suffisamment différente de la majorité des objets du même type, mettons. C’est ce que j’avais essayé de faire avec la navigation par niveaux du Cerveau à tous les niveaux, qui m’avait obligé à concevoir son contenu en ces termes, avec le surplus de travail de séparation des concepts dans ces différentes catégories. Et souvent j’ai sacré parce qu’il me manquait du contenu pour certains niveaux et que je devais repartir dans toutes sortes de lectures pour en trouver. Alors que dans un site plus classique on aurait été satisfait de lire le contenu disponible sans même s’apercevoir que certains niveaux n’avaient pas été évoqués. Mais je crois que ça en a valu la peine, car c’est encore aujourd’hui l’une des caractéristiques du site la plus appréciée.

La même question s’est donc posée pour moi au début de ce projet de livre. Qu’est-ce que je pourrais bien apporter d’un peu différent de tous les autres livres sur le cerveau. Au niveau de la forme, j’ai eu à un moment donné une idée qui m’a donné le goût de m’y mettre réellement. Comme je l’ai déjà écrit, je n’ai pas l’intention d’en parler pour l’instant, il faut bien se garder un petit punch pour la sortie du livre… 😉

Mais au niveau du fond, je me suis aperçu qu’au fil des années j’avais privilégiés certaines perspectives qui, au fil de mes lectures qui alimentent mes billets de blogues hebdomadaires depuis 2010, m’ont convaincu de leur pertinence. Mon approche, comme dans mes séries de cours, sera donc résolument évolutive, incarnée et dynamique à différentes échelles de temps pour décrire le système « cerveau-corps-environnement ».

Déjà, il me semble que ça partirait un peu différemment de l’immense majorité des bouquins destinés au grand public sur « le cerveau », souvent présentés comme une machine aux multiples fonctions, attendant ses inputs pour traiter cette information et produire sa réponse. Un peu comme une machine conçue récemment de manière optimale par un ingénieur particulièrement futé… Je caricature un peu, mais les sous-entendus sur lesquels sont souvent construits ces ouvrages sont un peu ceux-là. Or pour tenter de m’en démarquer parce que je les considère trop réducteurs, j’ai cru bon écrire un premier chapitre justement sur certains de ces présupposés je dirais « philosophiques » et « épistémologiques ». Deux gros mots pour poser deux grandes questions essentielles. D’abord comment on conçoit ce monde dans lequel il y a ces cerveaux qu’on voudrait mieux comprendre ? Et ensuite comment on peut acquérir des connaissances en général, et en particulier sur ces cerveaux ?

Cela vous donne une petite idée pourquoi la relecture que je fais de mon chapitre 1 me donne passablement de fil à retordre ces jours-ci ! Et pour être honnête avec vous, puisque j’aspire à un ton un peu plus intimiste dans ce journal de bord, ben j’ai carrément scrapé et réécrit les 3-4 dernières pages qui partaient dans tous les sens sauf celui où elles auraient dû aller… Et même si c’est mieux maintenant, je doute encore. Mais bon, il semble qu’apprendre à vivre avec le doute est une qualité essentielle pour faire de la science. Et que j’ai une section de ce chapitre qui tente de montrer que la méthode scientifique peut nous aider dans notre quête où l’objet le plus complexe de l’univers connu tente de se comprendre lui-même, ce qui n’est quand même pas rien…

Car contrairement à une idée de la science encore malheureusement trop souvent mise de l’avant, elle n’est pas tant là pour apporter des réponses définitives que pour nous amener à douter de nos certitudes. De toute façon, le problème lorsqu’on rentre un tant soit peu dans la complexité du monde avec la méthode scientifique, c’est que chaque petite réponse apportée va générer dix nouvelles questions ! Donc tu te retrouves simplement à savoir un peu plus que tu ne sais pas grand-chose, au fond.

Et pour comprendre un peu pourquoi c’est comme ça, c’est là qu’on n’a pas le choix de s’intéresser à nos conceptions philosophiques du monde physique. Oh là là… Et oui, oh là là, effectivement ! J’espère juste réussir à les résumer suffisamment sur une vingtaine de pages pour rendre tout ça le moindrement digeste. Juste pour vous dire, ça m’a amené à remonter au physicien quantique Werner Heisenberg, celui à qui l’on doit le fameux principe d’incertitude, qui disait :

“Ce que l’on observe n’est pas la nature en soi mais la nature révélée par nos méthodes de questionnement.”

Et puis à Karl Popper, le philosophe des sciences qui a beaucoup insisté sur cette idée qu’une théorie scientifique doit être formulée de telle sorte qu’on puisse imaginer des expériences qui pourraient la réfuter, prouver qu’elle est fausse. Une manière « par la négative », si vous voulez, de définir la démarche scientifique. Alors qu’avec Thomas Kuhn, autre philosophe des sciences, on a vu qu’elle pouvait aussi consister à explorer et à étendre le paradigme dominant. Jusqu’à ce que trop de données « anormales » viennent le remette en question et amène une « révolution scientifique ».

On ne peut pas non plus faire abstraction de tout l’aspect socio-économique de la recherche scientifique, qui permet de comprendre assez vite qu’il y a souvent en même temps une forte pression pour publier des résultats qui s’accordent avec le paradigme dominant, qui est généralement mieux financé, permet d’avancer sa carrière plus facilement, etc.

Et puis il y a des gens comme le philosophe Michael Strevens qui rappellent que si la science se veut une entreprise rationnelle, les scientifiques, eux,  comme tous les êtres humains, ne le seront jamais complètement. Ils se laissent comme tout le monde emporter par leurs passions et souvent leur désir d’avoir raison. Sauf qu’ils doivent, pour rester dans le domaine de la science, appuyer leurs arguments avec des données empiriques vérifiables.

On en arrive à une idée de la science plus riche, mais peut-être moins lisse et idéaliste que celle qui est encore trop souvent véhiculée. La science avance avec des motivations très humaines, trop humaines comme dirait l’autre. Et surtout, elle n’a pas le choix d’être une affaire de communauté parce que c’est par l’échange et la critique mutuelle que nos connaissances scientifiques progressent. On questionne les modèles, on les redéfinit, on confronte les interprétations des données, les méthodes employées, les statistiques utilisées. C’est tout ça faire de la science ! Ça repose sur des avis divergents et sur des confrontation d’idées qui s’appuient sur des études préalablement publiées. C’est vraiment ce qu’on a de mieux pour faire évoluer nos connaissances au sens large, même si c’est jamais parfait comme processus, ne serait-ce que parce que la politique et l’argent ont une influence non négligeable.

Il y a justement un bon exemple récent, il me semble, où science, politique et argent ont été pas mal mélangés : la pandémie… J’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher d’en aborder certains aspects dans mon blogue à plusieurs reprises (par exemple ici en 2022, là en 2021 ou là en 2020) parce que je trouvais que l’esprit de la science était bafoué ou instrumentalisé par ce que j’entendais souvent dans les grands médias.

Avec la Covid, on a bien vu comment ce n’était pas facile, parfois, de départager les avis scientifiques des mesures sanitaires que mettait de l’avant le gouvernement. Des motivations électoralistes sont venues à plusieurs reprises jouer au yoyo avec les confinements et les déconfinements, causant des dommages collatéraux très grave au niveau de la santé mentale et du tissu social grandement affecté par la chasse aux sorcières des personnes non vaccinées alors que le taux de vaccination à deux doses atteignait au Québec ces derniers mois 90% pour les 12 ans et plus.

Heureusement, on semble se diriger lentement mais sûrement vers la sortie d’une crise dont la gestion aurait pu bénéficier grandement d’un véritable débat scientifique. Et comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, je vous laisse avec cet exemple de réflexion bien argumentée et appuyée sur des données probantes qui, même si elle est un tantinet provocatrice, soulève néanmoins des questions importantes qu’on peut à partir de là débattre publiquement. L’esprit même du caractère collectif et par essence critique de la science qui a tant fait défaut durant la pandémie, quoi.

 

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