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lundi, 14 février 2022
Qui « fact check » les « fact checkers » ?

C’est une question pas si anodine qu’elle en a l’air. Parce que si l’on nous met parfois en garde avec raison contre des gens qui disent « avoir fait leur recherche » sur un sujet et avoir découvert des secrets incroyables, on va aussi souvent brandir le résultat des recherches des fact checkers comme des vérités absolues. Or ces redresseurs des torts, pour caricaturer un brin, sont de simples journalistes rémunérés pour faire leur travail au mieux de leur connaissance dans des domaines spécialisés complexes où ils ne sont pas plus familiers que vous et moi avec ces disciplines et leurs concepts. Et dès qu’on parle de phénomènes moindrement complexes (n’importe quoi impliquant le cerveau, ou encore l’action d’un virus ou d’un vaccin sur un organisme, par exemple), on se retrouve vite à faire deux choses : des métaphores et des choix.

D’abord des métaphores, pour tenter de ramener tout cet inconnu à du connu, et j’en ai signalé certains pièges la semaine dernière. Et ensuite des choix, c’est-à-dire considérer certaines choses et pas d’autres, que le temps limité accordé à ce fact checking oblige à faire devant une richesse de données que même les spécialistes du domaine peinent à suivre. Au final, on se retrouve avec quoi ? Avec le récit qu’une subjectivité, qu’on espère responsable pour le plus grand nombre, va faire d’une petite partie du réel, celle qu’elle a pu comprendre. On est donc bien loin des conclusions tranchées de Vrai ou de Faux qui ornent souvent les articles des fact checkers sur des sujets moindrement complexes comme le cerveau ou la Covid. On tente parfois de nuancer avec des « partiellement » vrai ou faux, d’accord, mais c’est loin d’être toujours le cas.

Deux exemples rapides là-dessus pour faire un peu comme la semaine dernière et me donner du temps d’écriture pour mon bouquin… Pour ce qui est du cerveau, simplement vous signaler que l’enregistrement vidéo de ma conférence du 13 décembre dernier pour les Sceptiques du Québec intitulée « Les « vrai ou faux » sur le cerveau : souvent il y a du vrai dans le faux et du faux dans le vrai ! » est maintenant disponible ici.

Pour ce qui est de la Covid, juste une anecdote pour montrer les dérives possibles du fact checking. Le 2 novembre dernier, le journaliste d’enquête Paul D Thacker, publiait dans le British Medical Journal (l’un des journaux les plus réputés en médecine), un article intitulé « Covid-19: Researcher blows the whistle on data integrity issues in Pfizer’s vaccine trial » qui révélait des pratiques douteuses d’une compagnie sous-contractée par Pfizer pour effectuer ses essais cliniques pour ses vaccins contre la Covid. Le lendemain, un dentiste israélien retraité écrivait un statut dans un groupe privé sur Facebook où il relayait le lien de l’enquête du BMJ de Thacker. Une semaine plus tard, Facebook affichait sur son statut un écriteau disant que des « fact checkers indépendants » avaient trouvé que cet article « manquait de contexte ». Aucune erreur n’avait pourtant été trouvée, mais on remettait en question la compréhension des faits tels que décrits dans l’article. Une compagnie payée par Facebook, Lead Stories (qui a effectué ce fact checking), en arrivait donc à des conclusions différentes d’un article publiée dans l’une des revues médicales spécialisées les lues au monde depuis 1840. Et cette compagnie maintient toujours son point de vue aujourd’hui, se lançant dans une défense appuyée bien souvent par des porte-paroles de… Pfizer.

Quoi qu’il en soit, la question n’est pas tant là que dans le fait que Facebook s’arroge le droit, avec ses avertissements, de juger qui a tort et qui a raison dans quelque chose qui, normalement, devrait simplement s’appeler un débat scientifique. Je sais trop bien que le but de Facebook est de faire de l’agent et non d’expliquer aux gens l’abc de la science. Considérant son influence colossale dans nos échanges virtuels, c’est bien là le problème.

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