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lundi, 17 août 2020
L’inconscient sous la loupe des neurosciences contemporaines

Les vacances achèvent, comme d’ailleurs ma lecture estivale du dernier numéro hors-série du magazine Pour la science (août-septembre 2020 – No 108) intitulé : À la recherche de l’inconscient. Les nouvelles théories des neurosciences. Un bon numéro qui couvre pas mal d’aspects de ce que notre cerveau passe son temps à faire : travailler pour nous mais à notre insu ! Pourquoi les conceptions actuelles de l’inconscient ne gardent pas grand-chose de celle de Freud ? Pourquoi nous gagnons à être presque toujours « sur le pilote automatique » ? Quels sont les dangers de ne pas comprenre à quel point l’inconscient dicte sa loi, au niveau politique par exemple ? Qu’en est-il des fameuses images subliminales et du pouvoir encore plus grand de l’exposition implicite à des centaines de publicités par jour (en plus de l’attention explicite qu’on leur porte) ? Voilà quelques questions fascinantes abordées dans ce numéro dont je me contenterai ici de vous citer quelques extraits de deux articles qui m’ont particulièrement intéressé parce qu’ils vont dans le sens de développements importants récents en sciences cognitives. Histoire de vous donner le goût de les lires dans vos vacances restantes, et moi de le finir !

Dans « Notre pilote automatique », Steve Ayan introduit ce grand cadre théorique fondamental des sciences cognitives des dernières années : celui d’un cerveau qui anticipe inconsciemment à tout moment les résultats de nos actions pour s’assurer qu’ils sont conformes aux prédictions de nos modèles internes du monde. Et nous ne serions conscients que lorsque l’écart observé est trop grand et nous surprend, c’est-à-dire assez peu souvent dans nos vies bien réglées.

« Selon le neuroscientifique et psychanalyste sud-africain Mark Solms, la conscience apparaît dans toutes les situations où les prédictions de notre cerveau se révèlent erronées. Il s’agit alors de cet état de surprise qui se manifeste quand les prédictions implicites du cerveau tombent dans le vide. Et nos cellules nerveuses font tout pour éviter ce type de fautes. Contrairement à ce que postulait Freud, notre esprit ne tendrait pas vers plus de conscience, mais s’efforcerait de limiter cette dernière. Le cerveau souhaiterait autant que possible qu’il ne se passe rien d’imprévu.

[…] Il y a une dizaine d’années, Karl Friston a proposé le principe d’énergie libre, une version mathématique de la théorie du cerveau prédicteur. Le terme d’énergie libre est une autre façon de nommer ce dont il était question plus haut, à savoir les moments où les prédictions du cerveau sont déjouées, ou encore les moments de surprise, ou plus simplement, de conscience. Des événements que notre cerveau s’efforcerait de maintenir aussi rares que possible.

[…] Timothy Wilson, de l’université de Virginie, voit là le prix que nous avons à payer pour avoir reçu de l’évolution un inconscient aussi efficace. Si nous devions toujours réfléchir pour être capable de nous faire une image du monde extérieur et pour savoir ce qu’il faut faire, nous aurions disparu depuis longtemps. Le pilote automatique dans notre tête fait de nous ce que nous sommes, pas notre conscience. »

Puis, dans l’article « Un inconscient bayésien ? », Hugo Bottemanne et Stéphane Mouchabac, poussent un cran plus loin l’explication de cette conception statistique d’un cerveau qui minimise l’incertitude du monde.

« La théorie du codage prédictif suggère que le cerveau élabore à chaque instant des modèles de son environnement, c’est-à-dire des « croyances », puis utilise ces modèles pour prédire les futures entrées sensorielles. Lorsqu’un décalage entre les prédictions et les stimuli apparaît, le cerveau génère une erreur de prédiction, et utilise cette nouvelle information pour modifier ses croyances, et ainsi améliorer ses prédictions futures. En un sens, cette théorie suppose que notre cerveau « internalise » la structure causale du monde, c’est-à-dire son fonctionnement, pour prédire comment ces sensations sont engendrées.

[…] Un exemple. Dans la jungle amazonienne, au crépuscule, votre système visuel détecte une tache orangée fugace dans le feuillage : vous pouvez réduire l’incertitude associée à cette perception en générant une croyance à propos de votre environnement (« Je crois qu’il y a un jaguar derrière les buissons ») ou bien en agissant afin d’affiner vos connaissances sur l’environnement (« Je me rapproche de la végétation pour voir ce qui s’y cache »). Dans les deux cas, l’incertitude associée à l’entrée sensorielle diminue. Dans cette relation bidirectionnelle, le monde fournit les données sensorielles qui constituent la base de l’inférence, et le cerveau agit sur le monde pour modifier le flux sensoriel.

[…] Les signaux sensoriels que nous percevons proviennent d’un environnement dynamique en constante évolution, avec une multiplicité de structures causales imbriquées. Pour en tenir compte, la théorie du cerveau bayésien suggère que notre système nerveux traite les différents signaux sensoriels simultanément de façon « hiérarchique ». Plutôt que de comparer une seule probabilité aux preuves sensorielles, notre cerveau manipule une hiérarchie de croyances à différents niveaux d’échelle d’implication spatiotemporelle, logique et d’abstraction. »

Je dois dire en terminant qu’ayant mis de l’avant il y a déjà deux décennies cette idée d’une multitude de niveaux d’organisation en interaction (l’incluant même dans le nom et la structure de mon site web suite à l’influence de pionniers comme Henri Laborit), ça me fait vraiment plaisir de la retrouver au cœur même des théories les plus actuelles du vivant et de la cognition…

 

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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