Après nous avoir appuyés pendant plus de dix ans, des resserrements budgétaires ont forcé l'INSMT à interrompre le financement du Cerveau à tous les niveaux le 31 mars 2013.

Malgré nos efforts (et malgré la reconnaissance de notre travail par les organismes approchés), nous ne sommes pas parvenus à trouver de nouvelles sources de financement. Nous nous voyons contraints de nous en remettre aux dons de nos lecteurs et lectrices pour continuer de mettre à jour et d'alimenter en contenu le blogue et le site.

Soyez assurés que nous faisons le maximum pour poursuivre notre mission de vulgarisation des neurosciences dans l'esprit premier d'internet, c'est-à-dire dans un souci de partage de l'information, gratuit et sans publicité.

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Bruno Dubuc, Patrick Robert, Denis Paquet et Al Daigen






mardi, 30 avril 2019
Les multiples niveaux d’organisation du vivant, plus que jamais au cœur des sciences cognitives

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J’aimerais vous parler cette semaine d’un concept fondamental pour comprendre le cerveau et, plus largement, l’ensemble de l’aventure humaine, à savoir les différents niveaux d’organisation du vivant. Mais avant, un petit détour par le site web sur lequel vous êtes actuellement et qui s’appelle comme par hasard « Le cerveau à tous les niveaux » ! Le hasard n’en est ici évidemment pas un puisque lorsque j’ai commencé cette aventure en 2002, inspiré par les travaux pionniers d’Henri Laborit en neurobiologie, j’avais voulu mettre cette idée dans la navigation même de ce site pour que les gens aient constamment le goût de découvrir ce qui se passe à d’autres niveaux d’organisation quand ils considèrent un phénomène cognitif quelconque. D’où la boîte de navigation par niveaux d’organisation qui figure en haut de chaque page de ce site.

Les années ont passé et le site s’est développé pendant dix ans jusqu’au jour où, sous le gouvernement du parti Conservateur du Canada, je perdis tout mon financement en mars 2013. Voilà pourquoi je me retrouve comme à chaque année au mois d’avril dans l’inconfortable posture de solliciteur de contributions volontaires. Heureusement, cette année comme l’an passé, « vos généreux dons faits sur le site m’ont apporté près de 2500$, ce qui me permet de continuer à écrire ce billet de blogue hebdomadaire. Je vous remercie donc encore une fois infiniment pour ce soutien financier en plus des bons mots qui me parviennent régulièrement. (je n’ai pas encore eu le temps de mettre à jour le thermomètre de dons ci-contre, mais ça ne saurait tarder…).

Pour en revenir à l’approche par niveaux d’organisation, s’il faut en croire l’article “Answering Schrödinger’s question: A free-energy formulation”, publié en mars 2018 dans la revue Physics of Life Reviews par le montréalais Maxwell Ramstead et ses collègues Paul Badcock et Karl Friston, elle est on ne peut plus centrale dans les travaux de biologie théorique les plus influents du moment. Sans entrer dans les détails du « free energy principle » au cœur de ces travaux, l’article se présente comme la première tentative visant à expliquer la dynamique des systèmes cognitifs à toutes les échelles où on les retrouve. Autrement dit, il propose de considérer tout comportement d’un être vivant comme le fruit de « systèmes de systèmes imbriqués les uns dans les autres » (« nested systems of systems”, en anglais).

Dans un autre article publié celui-ci en ligne en janvier dernier, les trois mêmes auteurs continuent dans la même veine en proposant « The hierarchically mechanistic mind: A free-energy formulation of the human psyche« . Le « hierarchically » de ce modèle mécaniste de la pensée fait ici directement référence à l’organisation multi-niveaux du cerveau et de toute la machinerie du vivant. Je n’ai pas le temps ni l’espace nécessaire ici pour présenter ce modèle fascinant qui décrit le cerveau comme un système adaptatif complexe qui tente constamment de minimiser cette fameuse énergie libre (que l’on peut grosso modo associer à l’entropie ou la désorganisation du système). Notre organisme cherche donc toujours à rester dans des conditions de viabilité grâce à des cycles action-perception sur le monde qui sont rendus possibles justement par tous les mécanismes neurocognitifs sous-jacents organisés par niveaux imbriqués les uns dans les autres. Ah et puis tiens, pour les plus curieux d’entre vous, voici l’extrait le plus synthétique qu’on puisse imaginer de ce modèle (un peu déroutant pour le néophyte, je le concède) :

« More precisely, this hypothesis defines the human brain as: an embodied, complex adaptive control system that actively minimises the variational free-energy (and, implicitly, the entropy) of (far from equilibrium) phenotypic states via self-fulfilling action-perception cycles, which are mediated by recursive interactions between hierarchically organised (functionally differentiated and differentially integrated) neurocognitive processes. These ‘mechanics’ instantiate adaptive priors, which have emerged from selection and self-organisation co-acting upon human phenotypes across different timescales.”

Ouf ! Notez que la fin de cette citation tirée de l’article de janvier 2019 attire l’attention sur le fait que ces différents niveaux d’organisation se déploient également à différentes échelles de temps, comme j’en avais déjà parlé dans un billet de blogue antérieur. Notez aussi que l’interaction entre l’auto-organisation et les processus généraux de sélection (dont la sélection naturelle de Darwin n’est qu’un cas particulier) provient de la théorie évolutive des systèmes (evolutionary systems theory (EST), en anglais), autre champ d’étude de la biologie théorique d’importance.

Mais terminons avec un exemple bien concret d’application des niveaux d’organisation, celui de la trace d’un souvenir. Où se trouve la trace de nos souvenirs dans notre cerveau ? Méchante bonne question qui ne se répond correctement qu’à la lumière des nombreux niveaux d’organisation que le cerveau comporte, justement. Car comme le montre l’image ci-haut tirée de l’article « Finding the engram » publié par Sheena Josselyn et ses collègues dans Nature Reviews Neuroscience en 2015, il existe une multitude de niveaux d’analyse de ce qu’on appelle l’engramme mnésique.

On peut trouver des modifications moléculaires au niveau des protéines histones couplées à l’ADN (ou au niveau de l’ADN lui-même à l’intérieur du noyau des neurones) qui correspondent à des altérations épigénétiques, donc des traces d’interactions avec le milieu qui modifie l’expression de certains gènes. On observe ensuite des modifications au niveau des synapses, les connexions entre les neurones, dont l’ouverture de certains récepteurs ou le nombre de ceux-ci va être modifié par l’activité nerveuse plus ou moins fréquente à cet endroit. Toujours en s’élevant dans les niveaux d’organisation, on arrive au niveau du neurone en entier, avec ses milliers d’épines dendritiques qui se renforcent, grossissent ou se résorbent selon qu’elles sont plus ou moins sollicitées par nos apprentissages. Vient ensuite le niveau des populations de neurones, ces réseaux locaux qui vont être sollicités de façon récurrente avec l’apprentissage et vont ainsi tisser des liens privilégiés formant des réseaux de neurones sélectionnés. Et finalement l’on peut observer, à l’échelle du cerveau entier, de grands réseaux incluant différentes structures cérébrales (comme l’hippocampe et le cortex) qui vont former au gré des apprentissages de vastes coalitions temporaires permettant de faire face efficacement à telle ou telle situation.

On le voit, répondre à une question aussi simple que « où est la trace de nos souvenirs dans notre cerveau » nécessite, pour rendre justice à cet organe le plus complexe de l’univers connu (dont on a tous et toutes un exemplaire entre les deux oreilles…), de tenir compte de tous ces niveaux d’organisation. C’est ce que les sciences cognitives contemporaines mettent au cœur de leurs modèles. Et c’est ce que Le cerveau à tous les niveaux a voulu mettre au cœur de son ergonomie, inspiré par Laborit qui en avait pressenti l’importance !

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