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mardi, 27 mars 2018
La neurogenèse dans le cerveau humain adulte remise en question

Jeunes neurones (en vert) versus neurones matures (en rouge). Crédit image: Sorrells et al.

Un article publié dans l’édition du 15 mars dernier de la revue Nature a fait grand bruit. Intitulée « Human hippocampal neurogenesis drops sharply in children to undetectable levels in adults”, elle remet en question plusieurs autres études qui, depuis une décennie ou deux, avaient décelé plusieurs signes de la naissance de nouveaux neurones durant toute la vie dans au moins une région du cerveau humain, le gyrus dentelé de l’hippocampe.

Or l’étude de Shawn Sorrells et de ses 17 collègues du laboratoire d’Arturo Alvares-Buylla arrive à une toute autre conclusion. La neurogenèse serait bien présente chez l’enfant mais déclinerait rapidement durant l’adolescence et ne subsisterait au mieux qu’à l’état de traces chez l’adulte. Considérant l’engouement et les espoirs qu’avait suscité cette idée que notre cerveau fabrique de nouveaux neurones durant toute notre vie, on comprend pourquoi cette étude a suscité pas mal de réactions. Surtout que l’idée de la neurogenèse dans le cerveau humain adulte avait elle-même ébranlé un dogme d’au moins un demi-siècle à l’effet que le cerveau humain adulte ne pouvait pas, justement, produire de nouveaux neurones.

Mais des doutes avaient surgit dès les années 1960 avec les travaux de Joseph Altman au MIT. Celui-ci avait recueilli des indices de la formation de nouveaux neurones dans le cerveau de rongeurs adultes. La question demeura ensuite en suspens jusque dans les années 1980, époque où Fernando Nottebohm de la Rockefeller University prouva hors de tout doute qu’il y avait bel et bien de la neurogenèse dans le cerveau de certains oiseaux adultes, notamment chez le canari apprenant de nouveaux chants. Arturo Alvares-Buylla avait d’ailleurs contribué à ces travaux en tant qu’étudiant dans le laboratoire de Nottebohm durant ces années.

Durant les années 1990, de nombreux travaux comme ceux d’Elizabeth Gould chez le rongeur, avaient permis de confirmer la présence et la sensibilité du phénomène de neurogenèse à certaines influences environnementales, le stress la diminuant et l’exercice l’augmentant, par exemple. Des spécialistes de la dépression ont aussi proposé un mode d’action des antidépresseurs comme le Prozac qui agirait en restaurant la neurogenèse dans l’hippocampe.

Et puis, vers les années 2000, des études rapportant l’existence de neurogenèse dans le cerveau humain adulte ont commencé à être publiées, par exemple par l’équipe de Fred Gage du Salk Institute. Elles utilisaient différentes techniques où l’on tentait de marquer certaines protéines associées à des neurones jeunes ou en train de se diviser. L’une d’entre elles, menée par Jonas Frisén en Suède, mettait à profit l’isotope radioactif du carbone 14 incorporé en faible quantité dans l’ADN de gens ayant vécu durant les tests nucléaires de la guerre froide et arrivait à la conclusion que chaque hippocampe produisait environ 700 nouveaux neurones par jour.

Mais toujours elles comportaient des risques d’erreur inhérents aux techniques utilisées, que ce soit sur le type de protéine ciblée, les risques qu’elles ne soient pas des indices fiables de nouveaux neurones, ou simplement des erreurs sur le type de cellule échantillonné (les cellules gliales qui côtoient les neurones pouvant, elle, se diviser durant tout la vie sans problème).

C’est dans ce contexte qu’arrive donc cette étude de l’équipe d’ Arturo Alvares-Buylla qui porte sur 59 hippocampes tant d’adultes que d’adolescents et d’enfants. C’est un échantillon considérable, d’autant plus qu’il comporte 22 gyrus dentelés frais issus d’ablations visant à réduire des crises d’épilepsie intraitables (le reste étant constitué de cerveaux prélevés après la mort d’individus les ayant légués à la science). La force de cette étude est d’avoir pu démontrer dans ces hippocampes d’origines diverses à la fois la présence de neurogenèse chez l’enfant et l’absence chez l’adulte avec la même technique. Et chez l’enfant, on a pu observer une baisse constante du taux de neurogenèse de la naissance à l’adolescence, passant de 1618 jeunes neurones par millimètre cube dans les premiers mois de la vie à à peine 2,4 au début de l’adolescence. Par la suite, plus rien chez l’adulte, ni chez les cerveaux post-mortem, ni chez les tissus frais issus des ablations.

L’étude note aussi que les cellules souches à partir desquelles se différencient les nouveaux neurones sont abondantes durant le développement prénatal, mais chutent radicalement au début de l’enfance, ne permettant pas la formation d’une zone subgranulaire typique qui sert un peu de réservoir aux nouveaux neurones et que l’on rencontre chez les rongeurs.

De l’aveu même d’ Alvares-Buylla, après avoir découvert de la neurogenèse dans le cerveau adulte de nombre d’espèces, ce n’est pas facile d’en arriver à la conclusion qu’il ne semble pas y en avoir de traces détectables dans le cerveau humain adulte. Serait-ce alors quelque chose qui nous rendrait unique ? Même pas, en fait, car une étude publiée en 2015 a montré qu’il ne semble pas en avoir non plus chez les baleines et les dauphins. L’olfaction peu développée chez ces mammifères marins aux capacités cognitives complexes – deux caractéristiques propres aux humains – a été mentionnée comme piste possible pour comprendre cette absence. Chose certaine, le dossier n’est pas clos et comme le soulignait Elizabeth Gould il faudra sans doute attendre le développement de nouvelles techniques pour confirmer ou infirmer l’étude de l’équipe d’Alvares-Buylla qui marque toutefois sans nul doute un moment important de cette histoire.

Cela dit, même s’il s’avérait que le cerveau humain adulte ne produit pas de nouveaux neurones, on en a toujours pas loin de 86 milliards (et autant de cellules gliales, dont les propriétés demeurent méconnues) qui peuvent recevoir jusqu’à plusieurs milliers de connexions d’autres neurones. Des connexions que l’on sait très plastiques, plusieurs des vôtres, peu importe votre âge, s’étant par exemple modifiées depuis le début de la lecture de cet article. S’il y a donc une chose que cette étude ne remet pas en question, c’est bien notre capacité d’apprendre constamment durant toute notre vie… avec ou sans nouveaux neurones !

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