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mardi, 3 octobre 2017
Les limites de la cartographie cérébrale

Comme je l’ai présenté ici le 11 septembre dernier, voici le résumé d’un aspect  de mon cours #3 de l’université du troisième âge (UTA) donné hier à St-Bruno et demain à Longueuil.

Ce cours était consacré à toutes les techniques de traçage, de coloration ou d’imagerie cérébrale plus modernes qui permettent de dresser des cartes du cerveau humain. Pourquoi des cartes ? Parce que nos fonctions cognitives émergent de l’interaction entre de nombreuses zones cérébrales souvent assez éloignées les unes des autres dans notre cerveau. Comprendre la carte routière que forment nos différents réseaux cérébraux, ou mieux encore, comprendre quelles sont les routes préférentielles utilisées dans telle ou telle situation, voilà des choses qui peuvent nous en dire beaucoup sur la façon dont parle, pense ou agit.

Or cette entreprise de cartographie se heurte à de nombreux problèmes et a des limitations importantes dues à la complexité de l’objet à cartographier. Je rappellerai donc simplement ici deux problèmes et quelques limites inhérentes au projet de « connectome », c’est-à-dire de l’établissement d’une carte de tous les faisceaux nerveux reliant les neurones entre eux dans un cerveau donné.

Le premier problème est relatif à l’échelle spatiale et il empêche, pour le dire vite, de tout voir en même temps dans le cerveau humain. J’évoque souvent ce problème en mettant mes deux poings ensemble et en demandant quel serait la taille du cerveau correspondant si mes poings correspondent à la taille d’une synapse. Et la réponse est une sphère avec diamètre d’environ 40 km, soit la longueur de l’île de Montréal… Cela implique que si l’on fait de la cartographie à l’échelle micro de la synapse, comme le font Sebastian Seung ou Jeff Lichtman par exemple, on ne peut pas voir de quelles régions du cerveau viennent les axones que l’on voit se connecter sur les épines dendritiques que l’on observe au microscope électronique.

À l’inverse, les techniques comme l’imagerie de diffusion où des projets comme Big Brain vont nous permettre de voir les grands faisceaux de fibres nerveuses se déployer dans l’ensemble du cerveau, mais leur résolution n’est pas suffisante pour nous montrer les détails des synapses où ces faisceaux d’axones se connectent. Reste une échelle intermédiaire, dite échelle meso, où chez le rat ou la souris on peut retracer tout parcours des axones de neurones particuliers. Mais encore là, on ne voit pas le détail des synapses et l’on n’est pas non plus dans un cerveau humain.

L’autre grand problème de la cartographie cérébrale est relatif à l’échelle temporelle cette fois. En clair, on ne peut pas (et on ne pourra jamais) faire LA carte du connectome d’un cerveau humain car celui-ci est extrêmement plastique. Autrement dit, on peut presque dire que la principale activité du cerveau, c’est de se modifier constamment lui-même, à chaque heure, minute ou même seconde de votre vie ! Si donc un jour on parvenait à avoir un appareil d’imagerie si puissant qu’il nous permettrait de tout voir dans votre cerveau, il ne pourrait que faire UNE carte de votre cerveau à UN instant donné, parce que quelques secondes après le câblage de votre cerveau se serait irrémédiablement déjà modifié un peu.

De toute façon, actuellement on est loin d’avoir établi ne serait-ce que quelque chose d’approchant le connectome humain. Le seul animal dont on a la carte complète du connectome est le petit vers nématode C. elegans qui mesure 1 mm de longueur. On a donc pu faire le diagramme complet des connexions entre les 302 neurones qui forment environ 7000 synapses. Est-ce que cela nous a immédiatement tout dit sur le comportement de ce petit vers ? Absolument pas. Certains vont même jusqu’à dire que ça ne nous a vraiment pas apporté grand-chose. D’autres que ça a déjà au contraire permis de formuler une foule d’hypothèses expérimentales qui ont pu être testées avec succès. Bref, il y a un gros débat là-dessus, rapporté par exemple dans l’article « The Connectome Debate: Is Mapping the Mind of a Worm Worth It? ».

Parmi les points débattus, on peut citer le “poids synaptique” des connexions qui n’est pas connu. C’est bien beau savoir quel neurone connecte avec quel autre neurone, mais toutes les connexions ne sont pas équivalentes en terme d’efficacité. Certaines synapses ont pu être renforcées par un apprentissage, d’autres non, etc. Et l’on retrouve notre problème de l’échelle temporelle…

On ne sait pas non plus la nature excitatrice ou inhibitrice de toutes ces connexions. Sans parler de certains neuromodulateurs circulant autour des neurones et qui peuvent changer la manière dont les neurones interagissent entre eux…

En conclusion, pour paraphraser Olaf Sporns qui travaille dans le domaine :

« Une connaissance de plus en plus précise du connectome va être fondamentale mais ne nous apportera pas toutes les réponses. Cela va nous permettre de poser des questions que peut-être nous n’aurions pas pu imaginer avant. »

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