lundi, 5 mai 2025
Sommeil, Alzheimer, et combats ritualisés
Quand je ne suis pas en train de préparer des événements comme la projection de mon film Sur les traces d’Henri Laborit le 16 mai prochain à Montréal (et le 18 mai en France) ou la 3e rencontre du club de lecture de mon livre le 20 mai prochain, j’essaie de faire au moins deux choses. En fait, trois. La première est de garder un œil sur l’actualité scientifique sur tout ce qui touche de près ou de loin au cerveau humain, ce qui m’amène aujourd’hui à vous parler d’un article sur le sommeil et l’Alzheimer publié dans un grand média. Et la seconde c’est de lire des livres, un grand plaisir que je m’accorde après n’avoir pas pu le faire pendant les 4 ans de rédaction du mien (à part bien sûr les livres ou chapitres de livres spécifiques aux sujets abordés dans mon livre). Mais lire plus largement en mettant en œuvre la pluridisciplinarité que j’appelle de mes vœux, ça c’est vraiment un plaisir retrouvé ! Comme celui que j’ai en avançant dans ma lecture de Les structures fondamentales des sociétés humaines, dont je vous offre plus bas un extrait qui résonne particulièrement bien avec l’actualité des derniers jours. Et la troisième chose que j’essaie de faire c’est de ne pas écrire des billets de blogue trop ambitieux pour me laisser le temps de faire autre chose de ma journée du lundi…
L’article dont je voudrais vous parler m’a été signalé pour mon paternel de 91 ans qui se fait encore un devoir de m’envoyer tout ce qu’il voit passer sur le cerveau dans les grands médias (merci Gilles !). Publié dans l’édition d’hier du journal La Presse, son titre « Lire les rêves pour comprendre l’Alzheimer » a cependant, comme c’est souvent le cas quand il est question du cerveau et encore plus de l’Alzheimer dans ce type de média, un côté nettement exagéré. Mis à part ce biais sensationnaliste pour les titres accrocheurs, voire racoleurs, les travaux actuels de Sylvain Williams sont plutôt bien rapportés. Il s’intéresse en effet à la consolidation mnésique durant le sommeil et comment sa meilleure compréhension pourrait peut-être ouvrir des avenues thérapeutiques pour l’Alzheimer.
Williams y résume succinctement le phénomène bien connu maintenant de réactivation des souvenirs récents sous la forme de ce qu’on appelle des ondes à front raide (ou « sharp wave ripples » en anglais), des bouffées d’influx nerveux à haute fréquence qui vont permettre de solidifier dans le cortex les connexions neuronales correspondant à des événement récents significatifs pour la personne ou la souris (le modèle animal employé ici, parce que les humains n’aiment pas trop se faire percer le crâne pour y installer une mini-caméra capable de filmer en continu l’activité d’un millier de neurones à la fois…).
Or chez les personnes Alzheimer, au lieu de cette réactivation ordonnée durant le sommeil qui favorise la consolidation des souvenirs, on observe davantage une suractivité désordonnée dans ces neurones. D’où l’idée qu’en comprenant mieux les causes de ce dérèglement, on pourrait éventuellement peut-être le contrer, et ainsi améliorer l’encodage des nouveaux apprentissages chez ces patients dont les premiers symptômes sont justement les pertes de souvenirs récents et la désorientation spatiale. Bref, une application pratique de la recherche sur tout ce que je raconte à Yvon à la fin de notre 6e rencontre dans le livre, en particulier à la page 243 et suivante (pour les « cellules de lieux ») et dans toute la dernière section de cette rencontre intitulée « La consolidation de nos apprentissages durant le sommeil » qui commence à la page 262.
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Pour ce qui est du fascinant ouvrage du sociologue Bernard Lahire, il a particulièrement résonné en moi alors que se terminait au pays le rituel d’une autre campagne électorale en même temps que les amateurs de foot comme moi recommençaient à jouer à l’extérieur avec le retour de la belle saison. Et donc quand Lahire rapporte les propos de Roger Chartier qui évoque les liens entre régime parlementaire et sport, ça a tout de suite eu une résonnance particulière pour moi :
« La sportization des passe-temps traditionnels n’est donc pas séparable de l’établissement du régime parlementaire. L’un et l’autre postulent et la légitimité de la compétition, même rude, et l’exclusion de la violence destructrice de l’adversaire. L’un et l’autre reposent sur un modèle « horizontal » d’affrontement qui porte des luttes euphémisées mais directes, menées selon des règles communément acceptées et dans un espace autonome, avec pour enjeu la victoire (électorale ou sportive). Un même habitus est donc à la fois déployé et façonné dans différents champs de pratiques, hétérogènes les uns aux autres. »
Résonnance particulière parce que plus je vieillis, et plus baisse mon taux de testostérone j’imagine, plus je trouve un peu absurde la guerre ritualisée d’une partie de foot où la compétitivité et l’impératif de victoire l’emporte bien souvent sur… le simple plaisir de bouger et d’exécuter de beaux gestes technique ou de belles chorégraphies d’ensemble.
Quant au rituel des élections, il est plus grave qu’absurde étant donné son issue prévisible en faveur du statut quo où c’est « blanc bonnet ou bonnet blanc » qui va continuer d’assurer le maintien des privilèges éhontés de la minorité des ultrariches de ce monde. Vous me direz, comme le souligne l’extrait, que c’est mieux que « la violence destructrice de l’adversaire ». Mais ce n’est pas parce que cette violence est moins directe qu’en d’autres lieux ou qu’en d’autres temps qu’elle est plus acceptable. Ses dérives décomplexées chez nos voisins du sud nous le rappellent en ce moment brutalement.
En terminant, si vous voulez mieux comprendre ce qu’essaie de faire Lahire, j’ai découvert qu’il vient de sortir un nouveau livre, « Vers une science sociale du vivant« , pour synthétiser la démarche de sa somme précédente (cette fois sous forme d’entretien dialogué en plus!). Et le bref avant-propos de 5 pages qu’on peut lire de ce bouquin fait une belle synthèse de la synthèse ! C’est-à-dire en gros mettre le social humain en dialogue avec le social dans les autres espèces vivantes, l’un des aspects les plus intéressants de cette démarche transdisciplinaire.
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