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mardi, 25 mai 2021
L’isolement social associé à la Covid-19 a des effets négatifs sur nos fonctions cognitives

Quand on y pense, ce n’est pas rien ce que les humains ont vécu durant la dernière année. Bien sûr, il y a eu tous ces morts dont plusieurs auraient pu être évités si les soins de santé étaient une véritable priorité pour nos gouvernements néolibéraux. Mais la pandémie nous a aussi fait expérimenter à divers degrés selon les pays des conditions de confinement et d’isolement social à grande échelle. Et cela dure encore, par exemple au Québec en « zone rouge », avec ce couvre-feu dont on n’a pourtant jamais pu établir l’efficacité contre la transmission de la Covid-19 d’un point de vue scientifique. Mais pour ce qui est des effets néfastes sur la santé mentale de telle mesures qui nous privent d’une part importante de nos rapports sociaux, là pas de doute, ils sont de mieux en mieux documentés. Et ce qu’on découvre, c’est que ces « dommages collatéraux » sont loin d’être légers ou banals. La dernière en ligne, publiée en mars dernier par Johanne Ingram et ses collègues, montre que c’est l’ensemble de nos fonctions cognitives qui déclinent quand on est privé d’une part importante de nos contacts avec les autres, comme ce fut le cas depuis un an. De quoi questionner bien des stratégies de contrôle de la pandémie qui étirent la sauce, par laxisme, désorganisation ou autres raisons politiques ou économiques douteuses, et nous replongent périodiquement dans cette privation de contacts sociaux.

Passons déjà sur de nombreux problèmes physiques dus à l’inactivité, au gain de poids ou à l’aggravation des dépendances de toutes sortes qui ont été abordés ailleurs. J’ai aussi déjà parlé dans ce blogue des travaux sur le déclin des facultés cognitive chez des individus qui, pour diverses raisons avant la pandémie, avaient perdu leur réseau social et s’était retrouvés seuls. Comme je l’écrivais alors :

« Cacioppo et ses collègues ont ainsi démontré, grâce à des études utilisant les techniques d’imagerie cérébrale, qu’un individu se retrouvant ainsi isolé du groupe social a moins d’activité dans ses réseaux cérébraux associés à la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire notre capacité à nous mettre dans la peau des autres pour mieux les comprendre. Des phénomènes d’hyper vigilance et de réaction de défense en résultent très souvent, par incompréhension ou peur d’autrui. Un stress chronique qui, on le sait, peut avoir des effets désastreux sur la santé physique et mentale.

Ce que Cacioppo nous dit au fond, comme dans son excellente conférence TED, c’est de comprendre notre nature foncièrement sociale pour que lorsqu’on sent les signaux d’alarme de l’isolement social chez nous ou chez nos proches, on les prenne aussi au sérieux qu’une faim intense ou qu’une douleur physique. Et donc de rechercher les situations susceptibles de nous aider à retisser du lien social, comme s’impliquer dans groupe sportif ou communautaire, faire du bénévolat, des jeux de sociétés, des jardins collectifs, etc. »

Ce qui est frappant à lecture ce passage, c’est de constater à quel point cette situation d’isolement sociale, même si on la savait temporaire durant la pandémie, a forcément eu quand même des effets délétères importants sur les gens les plus fragiles et comment les autorités politiques et sanitaires en ont presque jamais parlé, sinon pour donner des numéros de téléphones pour avoir de l’aide psychologique…

Et pourtant, comme je l’évoquais dans un autre billet, tout cela n’avait rien de banal :

« « Mais comment vivre ainsi retranché, dans un tel tourment diffus et lancinant? Comment continuer d’exister tout en craignant les contacts humains, alors que même en temps de guerre, bien au contraire, il convient de compter sur des rapports chaleureux pour espérer survivre? Autrement dit, comment vivre seuls, mais tous ensemble, dans une attente sans échéance? La vie est d’ordinaire attachée à l’action. Elle est désormais liée à l’immobilité. »

Ces pensées du journaliste Jean-Francois Nadeau du journal Le Devoir, glanées sur les médias sociaux la semaine dernière, saisissent bien un danger du confinement dont on parle relativement peu en cette période de crise, celui de l’inhibition de l’action. Cette expression, que qu’utilisait Henri Laborit pour parler de « stress chronique » (et que je préfère parce que plus explicite sur ce qui se passe concrètement), désigne cet état d’attente en tension où l’on a l’impression que l’on ne peut plus rien faire devant un danger : ni fuir, ni lutter. »

Faut-il rappeler aussi en quoi le seul fait d’isoler complètement quelqu’un de ses semblables dans les prisons est ressenti comme carrément inhumain par ceux qui l’ont subi ? Déjà une étude publiée en 2016 dans la revue Cell montrait que notre cerveau subit alors de réelles altérations dans son fonctionnement.

Mais ce que l’étude de Ingram et ses collègues a de particulier, comme son titre Social isolation during COVID-19 lockdown impairs cognitive function l’indique, c’est qu’elle vient d’être réalisée à grande échelle à partir des conditions de confinement durant la pandémie de Covid-19. À cinq moments différents durant les trois mois de l’étude, 342 personnes âgées de 18 à 72 ans ont complété des tests en ligne mesurant l’attention, la mémoire, la prise de décision, l’estimation du temps et l’apprentissage. Les participant.es devaient aussi indiquer à chaque fois leur état d’esprit, leur « mood », à mesure que s’opéraient les mesures de déconfinement. Et ce que l’on a peu observer, c’est qu’à mesure que les occasions de rencontres sociales s’amélioraient, les performances cognitives s’amélioraient aussi. En fait, une analyse détaillée des opportunités de socialisation des sujets a permis de montrer que les performances individuelles étaient fonction de l’isolement social, et ce, indépendamment de l’âge.

Et les auteurs de conclure que l’impact de l’isolement social sur les fonctions cognitives devraient être considéré lorsque l’on planifie des mesures de confinement sanitaire prolongée dans la population. C’est, effectivement, le moins qu’on puisse dire. Et ça invite fortement, il me semble, à tendre vers une stratégie « zéro-Covid-19 » qui ont eu un véritable succès ailleurs dans le monde.

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