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lundi, 14 janvier 2019
Faut-il avoir peur du sucre et de l’intelligence artificielle ?

Je voudrais cette semaine essayer de faire quelques liens entre deux sujets qui ne semblent pas en avoir de prime abord : le sucre et l’intelligence artificielle (IA). Plus précisément, d’une part, la trop grande quantité de sucre de la nourriture industrielle qui a quelque chose d’effrayant tellement on découvre à quel point elle est néfaste pour la santé (directement ou par l’excès calorique qu’elle entraîne). Et d’autre part une seconde peur, celle d’une IA qui serait en train de s’immiscer à notre insu dans tous les domaines de nos vies, soumettant imperceptiblement celles-ci à ses algorithmes productivistes et de contrôle social.

Voilà donc un premier lien entre les deux : la menace que le sucre comme l’IA semblent faire peser sur nous. En ce qui concerne le sucre ajouté dans les aliments industriels, il n’y a plus d’équivoque : un corpus sans cesse grandissant d’études scientifiques lie la consommation à long terme de sucre ajouté au diabète ainsi qu’aux maladies du foie et du cœur. Cela s’expliquerait par un « syndrome métabolique » incluant un taux de sucre élevé dans le sang, la résistance à l’insuline qui en découle, l’élévation des triglycérides et du cholestérol sanguin, une pression sanguine plus élevée, etc.

Aux États-Unis, pays de la bouffe industrielle et des puissants lobbys du sucre, les chiffres sont alarmants. Depuis 1970, l’incidence du diabète a plus que triplé (et 95% de cette hausse est due au diabète de type 2). En Californie, 11 % des adultes sont diabétiques et 46% prédiabétiques. Aussi, les gens « de couleur » et au bas revenus sont plus à risque et le développent de plus en plus jeune. Environ un enfant « de couleur » sur deux recevra un diagnostic de diabète durant sa vie. Pas étonnant quand on consomme en moyenne, comme le font les américains, 17 cuillérées à thé de sucre ajouté chaque jour, ou 57 livres par année !

Pour ce qui de la peur de l’IA, faut-il en voir peur ? C’est la pirouette que propose dans son titre le billet du philosophe Martin Gibert qui inaugure son nouveau blogue sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Gibert, qui avait participé au récent cours de l’UPop Montréal sur l’IA, met en garde contre une certaine conception uniforme de l’intelligence artificielle, comme une chose unique qui pourrait échapper au contrôle humain et se rebeller contre nous. L’imaginaire de la science-fiction des dernières décennies n’a eu de cesse de nourrir cette peur qui fait vendre de la copie.

Le lendemain de la publication de l’article de Gibert, Jonathan Durand-Folco, un autre philosophe, politique celui-là, rédigeait à chaud une réplique intitulée Pourquoi il faudrait s’inquiéter (un peu plus) de l’IA. Durand-Folco concluait qu’il lui semblait « tout aussi important de développer une conception alternative et critique, sensible aux nouvelles formes de domination et de contrôle social, aux transformations des modalités d’exploitation des travailleurs et des reconfigurations des rapports d’oppression (sexuelles, raciales, Nord/Sud et autres) qui accompagnent les développements du capitalisme numérique. »

D’autres critiques encore plus radicales ont aussi été faites de la « technique » en général dont le développement phagocytaire mènerait à « l’obsolescence de l’Homme », titre d’un classique de Günther Anders.

D’autres encore, comme l’historien Yuval Noah Harari insistent pour dire que ce qui est réellement à craindre, ce sont plutôt les usages malveillants de l’IA. En d’autres termes, il faudrait avoir peur des humains derrière l’IA, et en particulier des motivations qui les poussent à développer tel ou tel algorithme.

Et c’est là je me sens un peu plus légitime de parler de ces sujets sur ce blogue, à cause de cet autre lien qu’on peut faire entre le cerveau humain et les dangers associés au sucre et à l’IA. Un lien évolutif, je dirais. Car ce cerveau, qui nous fait agir, penser, construire des outils et avoir peur, il est le fruit d’une longue évolution, d’un bricolage qui s’est fait sur des centaines de millions d’années. En fait, le premier représentant du genre humain, Homo habilis, est apparu il y a environ 2,5 millions d’années. Et on l’a appelé « habilis » parce qu’il était habile à fabriquer des outils de pierre pour améliorer sa survie. Tout comme, soit dit en passant, il avait une « dent sucrée » qui l’incitait à aller vers les rares fruits mûrs qu’il trouvait, source de précieuses calories.

Depuis, l’être humain n’a jamais cessé d’aimer le sucré et de fabriquer des outils, l’IA en étant le dernier en lice. La technique et l’attirance pour le sucre sont donc deux choses qui sont consubstantielles à l’être humain. Mais que fait-on maintenant devant les quantités monstre de sucre qu’on produit aujourd’hui et les algorithmes de reconnaissance d’images du « deep learning » qui carburent aux méga données ? Voilà peut-être la bonne question à poser, pour aller dans le sens d’Harari.

Et dans nos deux exemples d’aujourd’hui, le sucre et l’IA, (mais on pourrait en citer bien d’autre comme dans le livre « Lethal But Legal: Corporations, Consumption, and Protecting Public Health », de Nicholas Freudenberg), on se rend compte que dans bien des cas c’est pour faire des sous et pas tant pour continuer d’améliorer notre qualité de vie. Et quand je dis des sous je suis poli, car c’est souvent plus de faramineux profits qu’encaissent les hauts-placés de grandes multinationales. Alors que leurs employés sous-payés ne peuvent bien souvent que se payer le McDo et son sucre ajouté comme dîner…

Et dans le cas du sucre justement, plusieurs enquêtes sorties en 2016 et 2017 ont montré, en plus, comment la puissante Sugar Association américaine a influencé la recherche sur le sucre ajouté pour détourner l’attention de ses effets nocifs sur la santé pourtant connus depuis longtemps. Une étude publiée dans les Annals of Internal Medicine a même examiné 60 études explorant les liens entre les boissons sucrées et l’obésité ou le diabète : 26 ne trouvaient pas de liens et 34 en trouvaient. Ces 34 études étaient toutes, sauf une, des études indépendantes au niveau de leur financement. Mais les 26 qui ne trouvaient pas de liens étaient toutes financées par l’industrie des breuvages sucrés ou menées par des gens ayant des liens financiers avec l’industrie !

Morale de ces questions morales ? Méfions-nous du sucre et de l’IA, mais plus encore de certains humains, coupés de la communauté comme des cellules cancéreuses du reste du corps, générant ce capitalisme sauvage qui, si on ne l’attaque pas de front, se métastase au plus profond de nos vies. Ce sera mon dernier lien pour aujourd’hui. Je vous laisse discuter de son goût…sucré ou amer. ;-P

De la pensée au langage | Comments Closed


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