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lundi, 20 mai 2013
Libre arbitre et neuroscience

La question du libre arbitre compte certainement parmi les (sinon LA) questions qui a fait couler le plus d’encre depuis que l’être humain s’interroge sur sa condition. Or depuis quelques décennies, les neurosciences se sont invitées dans le débat. Et les données qu’elles apportent ne peuvent plus être ignorées par les philosophes.

Tout a commencé quand on a découvert, dans les années 1960, qu’un mouvement volontaire (et donc librement initié) est précédé dans le cerveau d’une activité neuronale préparatoire détectable une bonne seconde avant l’exécution du mouvement. Cette activité reçut le nom de « potentiel évoqué primaire ». Puis, dans les années 1980, Benjamin Libet tient ce raisonnement simple mais fondamental : si c’est une décision consciente qui initie toute action volontaire (comme on en a l’intime conviction), alors ce sentiment subjectif devrait forcément survenir avant le début du « potentiel évoqué primaire » qui survient dans les régions prémotrices du cerveau et semble préparer le mouvement.

Or les résultats de sa fameuse expérience, où le sujet devait décider et noter le moment où il prenait la décision d’exécuter une flexion du poignet, montraient exactement l’inverse. La décision consciente survenait un bon 350 millisecondes après le début du « potentiel évoqué primaire » (et l’action s’exécutait environ 200 ms après la décision consciente). Le sentiment de la prise de décision arrive donc beaucoup trop tard pour être à l’origine du mouvement volontaire, et ne semble être qu’une illusion que notre cerveau génère pour nous donner l’impression d’être l’agent derrière nos actions.

Inutile de dire que cette expérience a donné lieu à de nombreuses critiques et controverses. On a attaqué tant son protocole expérimental que le caractère simpliste de la décision consciente testée (un mouvement simple du poignet) qui ne permettrait pas d’étendre les conclusions de l’étude à des décisions plus abstraites. Sauf que…

Sauf que depuis 5-6 ans, l’expérience de Libet a été reprise avec des outils modernes comme l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ou même des électrodes implantées dans le cerveau avant des opérations pour des crises d’épilepsie, et toutes semblent confirmer les résultats de Libet. Mieux, elles peuvent prédire, avec des taux de succès de 55 à 80 %, de 1 jusqu’à 10 secondes avant la décision consciente ressentie par le sujet, quel geste simple (souvent appuyer sur un bouton avec la main droite ou gauche) il va « choisir » de faire. Même la critique de la simplicité de la tâche à accomplir a été récemment ébranlée suite à la publication, en février 2013, d’une étude de Chun Siong Soon et ses collègues.

Car ici, la tâche est beaucoup plus abstraite : le sujet doit décider d’additionner ou de soustraire des nombres qui défilent devant ses yeux, et l’on parvient tout de même à prédire quelle opération il va choisir 4 secondes avant lui ! Et ce, simplement en observant son activité cérébrale dans la région du cortex préfrontal médian et pariétal.

L’étude montre en outre que le signal permettant de prédire la décision coexiste avec celui du « mode par défaut », un circuit cérébral de mieux en mieux caractérisé qui correspond à l’activité de base du cerveau quand on est éveillé et qu’on « ne fait rien » (en bleu sur l’image ci-haut). En cela, elle rappelle que le cerveau est un système dynamique toujours en train de faire « quelque chose » et qu’une décision consciente ne peut que se greffer, se bâtir, à partir de l’activité préexistente. De là à dire que notre sentiment de libre choix est quelque chose qui est ajouté bien tardivement dans la chaîne causale derrière un comportement, il n’y a qu’un pas, que plusieurs neurobiologistes n’hésitent plus à franchir.

Mais comme cela sonnerait le glas de l’idée de la liberté humaine, et avec elle celui de la responsabilité individuelle (sur laquelle repose, par exemple, tout notre système de justice), certains tentent de réhabiliter la notion de libre arbitre. C’est le cas par exemple de Michael Gazzaniga dont les expériences sur les patients au cerveau divisé pointaient pourtant clairement dans le sens d’une rationalisation langagière a posteriori de nos comportements. Mais c’est justement en évoquant la nature dynamique du cerveau créatrice de propriétés émergentes, et en restituant la question au bon niveau d’organisation (le niveau social, selon lui) qu’il parvient à défendre l’idée de liberté et de responsabilité.

Pour les personnes qui voudraient un tour d’horizon plus large sur cette question, incluant d’autres expériences récentes en imagerie cérébrale et des détails sur la position de Gazzaniga, vous pouvez consulter la présentation « Libre arbitre et neuroscience » que j’ai donnée la semaine passée dans un cégep du Québec.

i_lien Scientific evidence that you probably don’t have free will
a_lien Yet another experiment showing that conscious “decisions” are made unconsciously, and in advance
a_exp Predicting free choices for abstract intentions
i_lien How Mind Emerges from Brain (BSP 82)

Au coeur de la mémoire | 1 commentaire


Un commentaire à “Libre arbitre et neuroscience”

  1. KONONENKO dit :

    Pourquoi ne parlons-nous pas de ces personnes à part entière comme les moines capables avec leur cerveau de modifier leur température corporelle, ou encore de l’expérience de mort imminente dont, même l’EEG plat, donne lieu à l’impression de cette sortie hors du corps? Ou de la provenance de nos rêves, apparaissant en tout temps durant notre sommeil même profond (juste la mémorisation qui se fait moins bien)? Ou comment expliquer les processus de la création qui imbrique l’imagination?
    Pourquoi vouloir considérer le contrôle de soi comme une illusion? Est-ce une réalité? Comment la contredire? La conscience, apparaît à bien des niveaux où l’EEG indique une activité électrique basse, même dans le coma, l’homme entend, ressens, réagit à la personne extérieur.
    Faut-il revoir cette notion de conscience?
    N’existerait-elle pas en tout temps, ne parlerons nous pas plutôt, d’une notion d’attention et d’un mécanisme de reconnaissance, de mémoire dans le cas du phénomène du membre étranger au lieu d’un niveau de conscience?…
    Vous exprimez assez souvent les théories comme des vérités mais vous évitez de nommer les controverses.
    On ne sait pas non plus à quoi correspond cette activité basse de l’EEG avant la conscience de l’action. On l’attribut à l’inconscient sans savoir si la personne avait déjà former une image mentale tellement rapide qui fait qu’on ignore le pourquoi de notre mouvement lié au décalage.
    L’expérience de Libet, comme les autres, ne prouvent rien et ces hypothèses, ni n’ont été approuvées, fort heureusement, ne nous sont pas enseignés à l’école car le déterminisme biologique n’explique pas tout. Ni les IRM…
    On utilise tous différemment notre cerveau et il serait plus inquiétant, de reconnaître un mouvement exécuter comme n’émanant pas de nous que de dire que nous l’avons exécuter car on l’a voulu.
    Pourquoi nous ne contrôlerons pas finalement intégralement notre corps par notre volonté? Les bouddhistes sont capables de modifier leur température par visualisation mentale et désir profond. Certains ont dépassés les limites de la douleur en marchant sur le feu.
    Qu’est ce qui provoque le désir? Le corps, mais qu’est ce qui le motive dès la naissance alors que nous n’avons pas encore goûté pleinement au plaisir puisque nous ne sommes pas soit disant « conscient » de nos besoins et que nous ne pouvons comprendre les influences culturel?