lundi, 27 octobre 2025
Ne surtout pas voter Ensemble Montréal, mais encore ? Petit dialogue sur les élections municipales.
Il y a quelques jours, Yvon D. Ranger, mon camarade et co-auteur de « Notre cerveau à tous les niveaux. Du Big Bang à la conscience sociale », m’a invité à prendre une bière à son bar préféré, les Sans-Taverne, au Bâtiment 7, à Montréal. À l’approche des élections municipales dans une semaine, il voulait « me jaser » un peu. Comme à l’été 2022, j’ai pris avec moi, un peu par réflexe, ma petite enregistreuse. Voici donc une version condensée du verbatim de notre échange qui essaie d’aller à l’essentiel…
* * *
Yvon D. Ranger (YDR) : Pis, tu vas voter pour qui ?
Bruno Dubuc (BD) : Luc Rabouin et Projet Montréal. Toi ?
YDR : J’sais pas. J’dois faire partie du 37% des « indécis / ne voteras pas » du dernier sondage.
BD : Tu sais que ce sondage plaçait en tête l’ancienne ministre libérale qui a pris la direction de l’ancien parti de Coderre, Ensemble Montréal ? Ça m’étonne que tu veuilles pas barrer la route à ces vieux néandertaliens, pour reprendre l’expression de ton film, qui veulent favoriser tout ce qu’on déteste et qui empoisonne la vie en ville : l’appétit de profit sans fin des promoteurs immobiliers, l’auto solo qui pue, pollue et tue au détriment du transport actif bon pour la santé et l’environnement, la « loi et l’ordre » avec encore plus de répression et de surveillance policière, les intérêts de la classe d’oligarques qui accaparent tout au détriment du bien commun, et j’en passe…
YDR : Je sens que nos p’tites discussions pour le livre ont pas servi à rien et que t’es davantage capable qu’avant d’appeler un crosseur cravaté (ou en tailleur) par son nom quand t’en vois un. Que tu peux surtout percer l’écran de fumée de nos grands médias serviles qui présentent ces destructeurs du monde comme des gens respectables.
BD : C’est sûr qu’avant tes mauvaises influences je les appelais pas des crosseurs, mais je n’étais pas aveugle pour autant de toutes leurs décisions qui allaient dans l’exacte direction opposée de vers où il faut aller en terme de bien être personnel et collectif. Juste considérer les faits scientifiques que je vulgarise dans mon blogue depuis des années m’amenait à conclure que ces gens-là rendaient nos conditions de vie, et en particulier celles des moins favorisés, plus malsaines en termes de polluants, de stress chronique, de difficultés à se loger, de destruction des espaces verts, de production accrue de gaz à effet de serre, etc.
YDR : C’est clair que si par malheur Ensemble Montréal rentrait, avec ses candidats intimidateurs et pro-Airbnb, ce serait un recul épouvantable pour les montréalai.ses. Un peu comme quand la CAQ est rentrée au provincial. Moi je capotais ben raide de voir que ces mononcs affairistes, autoritaires et surtout majoritaires prenaient le contrôle du Québec, alors que la plupart de nos bons commentateurs politiques étaient prêt « à leur donner leur chance ». Résultat : ô surprise, de scandales (SAAQclic) en fiascos (Northvolt), tout est pire qu’avant ! Et on attend avec « impatience » la succession avec un beau PQ qui entretient son fonds de commerce en cassant du sucre sur le dos des immigrants…
BD : C’est pour ça que dans ce contexte-là, où tout dérive de plus en plus à droite dans le monde, c’est fondamental d’entretenir des îlots de résistances à l’échelle des villes où l’on peut concrètement aller vers une transition écologique si urgente et nécessaire.
YDR : Parlant de transition, ça t’aurait pas tenté de voter pour le nouveau parti Transition Montréal de Craig Sauvé qui se présente comme à gauche de Projet Montréal, du moins sur le dossier de l’itinérance et de la police, où Projet Montréal m’a vraiment fait chier en démantelant les campements et en continuant d’augmenter le budget des flics comme n’importe quel autre parti au service de l’establishment.
BD : « I feel you bro », comme tu m’as déjà dit… Transition Montréal a certainement obligé Projet Montréal à aller un peu plus vers la gauche, notamment sur le génocide en Palestine et avec des candidates comme ton amie la militante Anaïs Houde, mais on retombe toujours sur le même ostie de problème de la division du vote progressiste.
YDR : Heille, surveille ton langage ! Même si ça me fait du bien de te voir admettre les limites et incohérences de la joute électorale telle qu’on la pratique en général dans nos belles démocraties libérales…
BD : L’affaire, dans ce cas-ci, c’est que la plate-forme de Projet et de Transition ne sont pas si différentes que ça dans leur ensemble. Et que même si Rabouin nous fait un peu nous ennuyer de l’autre Luc par moment, sa feuille de route indique qu’il devrait continuer d’aller dans le bon sens « en général », si je puis dire.
YDR : Donc finalement t’admets plus ou moins que tant que tant qu’on va baigner dans le système actuel, le CAPITALISME en cap lock, ostie, parce que c’est l’éléphant dans la pièce qu’on ne nomme jamais, tant qu’on va baigner dans ce système amoral, asocial et apatride, comme disait Michel Chartrand donc, ben on aura beau mettre une mairesse souriante à la tête d’un parti d’urbanistes branchés, après une couple d’années, a va s’isoler avec sa garde rapprochée pis se couper de sa base comme c’qui est arrivé à Montréal ces dernières années.
BD : Je peux pas te donner tort là-dessus, malheureusement… Depuis notre aventure commune en 2022, tu m’as convaincu que le capitalisme, qu’on a bien de la difficulté à voir et à nommer parce qu’on naît et baigne dedans depuis notre plus jeune âge, ne va JAMAIS dans la bonne direction, si je peux me permettre mois aussi un mot en Caps Lock, comme je l’ai fait d’ailleurs sur ce point dans notre livre à la page 528 tellement ça m’apparaît fondamental comme constat.
YDR : Exact. Et comme l’expliquait récemment l’anthropologue Jason Hickel, les partis politiques progressistes comme Projet Montréal, QS au provincial, ce qui reste du NPD au fédéral ou même les Démocrates au États-Unis ont sur papier de belles valeurs libérales au sens politique du terme, avec la justice, le bien commun, le respect des droits et libertés, de l’environnement, etc, mais tout ça vient inévitablement en conflit à un moment donné avec les inégalités structurelles et l’oppression du pouvoir de l’argent qui vient avec l’accumulation du capital. Et c’est là où nos bon.nes élu.es sont fourré.es, comme on dit, et qu’ils deviennent hypocrites pour dealer avec la dissonance cognitive que ce « point aveugle » du capitalisme leur impose malgré eux. Je dis malgré eux pour insister sur le fait que tant qu’on pensera qu’un parti politique, avec le plus beau programme qui soit, disant par exemple vouloir amoindrir la « crise du logement » sans admettre que c’est pas une crise mais l’était naturel des choses généré par l’accumulation éhontée de capitaux dans une minorité de mains, ils vont continuer de se commettre implicitement avec le système en place, ou même pire en préférant laisser le pouvoir aux fascistes plutôt qu’aux socialistes, comme on le voit de plus en plus dans nos belles sociétés libérales au centre mou, eh ben on n’a pas fini d’être déçu passé la lune de miel de l’arrivée au pouvoir de partis « de gauche » comme Projet Montréal. Et de sentir le mindfuck qui nous assaille comme actuellement en se disant qu’il faut quand même éviter l’immense catastrophe, et pour ça je suis d’accord avec toi, que serait l’accession au pouvoir d’un vieux parti comme Ensemble Montréal.
BD : Alors on fait quoi ?
YDR : On fait ce qu’on peut, ostie. On lit, on réfléchit, en essaie d’y voir clair, de dire les vraies « vraies affaires », pis de créer dans notre entourage des espaces de solidarité pis de lutte. Et pis oui, si t’as un 15 minutes dimanche le 2, va faire des X pour éviter le pire, comme d’hab. Mais j’espère que le lendemain tu vas pas t’asseoir sur tes lauriers si t’as encore une fois échappé de justesse à la fascisation de ton coin de pays. Pis que tu vas te sentir plus à l’aise de libérer un peu ta parole pour jaser des sujets qui fâchent les gens de Bien parce qu’ils ont pas l’habitude qu’on leur en parle dans les grands médiocres. « So try », comme disait Sapolsky que j’ai découvert avec plaisir grâce à toi et que tu cites à la page 549, si moi aussi je peux montrer que je le connais comme si je l’avais écrit, ce livre-là.
BD : Ouais, t’as pas tort… Pis tu portes ben ton nom de D. Ranger, mon ostie! (rires) Et si je peux me permettre le mot de la fin, parce que c’est mon blogue après tout pis que je te laisse pas le choix anyway, je dirais que j’ai l’impression que les contraintes structurelles que tu décris ici et qui sont un phénomène émergent de tout système complexe comme le sont les sociétés humaines, sont actuellement fortement déterminées par des décennies d’un rapport au monde qu’on peut effectivement résumer par le concept de « capitalisme », que cette organisation d’ordre supérieur influence et contraint dans une large mesure à notre insu nos rapports sociaux – qu’on pense ici qu’aux rapports employé.es / patrons ou à l’automobile individuelle comme vache sacrée de nos déplacements – et que tant qu’on ne remontera pas jusque-là pour avoir une compréhension générale de ce qui se passe, on sera condamné à se débattre pour des espaces de décence et de dignité dans un jeu de Monopoly dont les règles vont très exactement à l’encontre de cette finalité, qui est celle du mammifère coopératif et empathique que nous sommes à la base. Et c’est là que pour moi, on en revient toujours à ce bon vieux Laborit qui nous a tant marqué tous les deux par sa lucidité qui motive tant ton travail que le mien, et qui concluait le film d’Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique, par ces mots :
«Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici que cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change.»
Du simple au complexe | Pas de commentaires










