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lundi, 10 octobre 2016
« La cognition incarnée », séance 6 : La cartographie du connectome humain et ses limites à différentes échelles

Comme à chaque lundi de cet automne, voici un bref aperçu de la prochaine séance du cours sur la « cognition incarnée » que je donnerai mercredi prochain à 18h au local A-1745 du pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM.

Après avoir constaté la semaine dernière que des phénomènes oscillatoires rythmiques émergent de l’interaction des populations neuronales dans notre cerveau, nous allons maintenant considérer l’organisation spatiale de ces réseaux de neurones.

Ce n’est pas d’hier qu’on tente de cartographier le cerveau humain. Sans remonter jusqu’à la phrénologie du XIXe siècle, on peut citer les efforts d’un Korbinian Brodmann au début du XXe siècle dont la célèbre carte corticale subdivisée en 52 aires distinctes sert encore de référence en recherche même aujourd’hui.

C’est que les caractéristiques neuronales utilisées par Brodmann pour établir sa carte (la taille, la forme et la répartition des neurones dans les six couches du cortex) a conservé sa pertinence en tant que reflet d’un certain type d’activité fonctionnelle. Ainsi, de gros neurones dans la couche 5 et 6 sont le gage d’une aire motrice dont les axones doivent descendre loin dans la moelle épinière. Ou encore, une couche 4 bien développée est le signe très probable d’une aire sensorielle, puisque c’est la couche qui reçoit les inputs en provenance de l’extérieur du cortex.

Mais il y a d’autres critères que la cytoarchitecture qui peuvent servir à délimiter des régions cérébrales. Le tracé des connexions cérébrales, avec les techniques de traçage classiques, en est un autre. Tout comme la forme des structures cérébrales ou leurs fonctions que les techniques d’imagerie cérébrale permettent d’investiguer. Quel que soit le critère choisi, on se heurte toutefois dans tous les cas à un même problème d’échelle. La circonférence du cerveau entier étant de l’ordre d’une quinzaine ou d’une vingtaine de centimètre, et celle d’une synapse de l’ordre du micromètre, il est en effet impossible de « voir » en même temps l’un et l’autre. Autrement dit, aucune technique permettant de voir par exemple le déploiement des voies nerveuses dans l’ensemble du cerveau nous permettra de voir en même temps la position précise de ses synapses. Mais les deux peuvent être visibles indépendamment, avec des techniques bien différentes.

Ce sont ces différentes techniques à l’échelle micro, meso et macro qui sont mises en œuvre pour tenter de dresser le connectome humain c’est-à-dire la carte de toute les voies nerveuses du cerveau d’un individu (par analogie avec le génome humain qui est la carte de tous nos gènes). Une carte qu’il sera toujours impossible de dresser d’une façon définitive à cause de la plasticité inhérente du cerveau humain, nos synapses se modifiant à tout moment. Mais un peu comme pour la cartographie du génome humain (qui a été achevée en 2003) sans nous permettre de comprendre d’un coup toutes les maladies génétiques, de même on ne croit pas que la carte générale du connectome humain nous permettra de comprendre instantanément les maladies mentales. Mais comme pour le génome, elle permettra d’élaborer de nouvelles hypothèses et l’on ne pourra sans doute plus s’en passer.

Je ne reprendrai pas ici en détail les différentes techniques de cartographie cérébrale que je vais présenter dans la séance de mercredi. Je me contenterai de les citer avant de m’attarder sur deux avancées récentes que sont l’imagerie de connectivité fonctionnelle et la carte de Van Essen publiée cet été dans la revue Nature.

À l’échelle micro, on peut ainsi mentionner par exemple les travaux de Sebastian Seung avec le projet EyeWire ou ceux de Jeff Lichtman qui permettent des reconstructions 3D impressionnantes de petits bouts de dendrites avec toutes leurs synapses et les cellules gliales associées.

À l’échelle meso, on pense au Mouse Brain Architecture Project ou au Mouse Connectome Project. Sans voir les synapses, ces projets permettent de suivre les faisceaux d’axone d’une structure cérébrale à une autre, dans l’ensemble de petits cerveaux comme celui des rongeurs.

À l’échelle macro, il y a le projet BigBrain où l’on a tranché, scanné et analysé le cerveau d’une femme décédée à l’âge de 65 ans, créant ainsi la carte la plus détaillée de l’intégralité d’un cerveau humain. Encore une fois ici, point de synapses de visibles, mais avec ses tranches de 20 micromètres seulement, une résolution 50 fois meilleure que le millimètre cube de l’imagerie par résonnance magnétique.

Justement, qu’en est-il de toutes ces techniques d’imagerie cérébrale ? Encore une fois rentrer dans le détail de fonctionnement de chacune serait trop long ici, alors je me contenterai de vous renvoyer la capsule imagerie cérébrale du Cerveau à tous les niveaux ainsi que celle qui relate un protocole de cartographie fonctionnelle du cerveau avec IRMf et TEP. Elles ont été écrites il y a une bonne dizaine d’années maintenant et, bien que la puissance et la résolution des appareils se soient beaucoup améliorés, les principes de bases demeurent toujours les mêmes.

Ce qui n’empêche pas l’IRMf (l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle) d’être périodiquement sous le feu des critiques. Et encore récemment avec l’étude parue en juillet 2016 d’Anders Eklund et ses collègues démontrant que les algorithmes de base utilisés dans l’analyse des résultats de l’IRMf produisaient des « faux positifs » avec un taux alarmant. Mais les auteurs de l’étude ayant eux-mêmes ramené de 40 000 à 3 500 le nombre d’études ayant été affectées par le problème avant qu’il ne soit réglé en 2015, plusieurs voix se sont ensuite élevées pour dire qu’il ne fallait quand même pas jeter le bébé avec l’eau du bain !

Comme promis plus haut, j’aimerais terminer en disant un mot d’abord sur l’imagerie de connectivité fonctionnelle. Avec l’IRM de diffusion, c’est depuis au moins une bonne décennie maintenant une approche très utilisée pour essayer de voir, parmi toutes les routes anatomiques disponibles dans nos réseaux neuronaux, quelles sont celles qui sont effectivement utilisée par les influx nerveux dans une situation donnée.

Et la situation donnée sans doute la plus étudiée, c’est celle où le sujet ne fait rien de particulier et qu’il est au repos. D’où l’expression de « resting state functional connectivity MRI » pour la décrire. En mesurant les fluctuations spontanées à basse fréquence de l’activité cérébrale, on tente donc d’identifier des régions qui ont naturellement tendance à « travailler ensemble ». Pour ce faire, on prend une certaine région comme référence et l’on regarde quelles autres régions cérébrales oscillent au même rythme à un instant donné. Assumant que cette synchronisation d’activité est le signe d’une connectivité intime entre ces régions, on peut ainsi construire des cartes de régions mutuellement interconnectées.

C’est ainsi que l’on a pu mettre en évidences de nombreux réseaux clairement reconnaissables chez différents sujets effectuant des tâches similaires, y compris lorsqu’ils ne font aucune tâche. On a donné le nom de « réseau par défaut » à ce dernier puisque que son activité augmente en l’absence de tâche explicite et qu’elle diminue dès que le sujet porte son attention sur une tâche quelconque pour l’effectuer. On peut donc dire que ces deux réseaux, celui du mode par défaut et le « réseau dorsal de l’attention », comme on l’appelle, sont anti-corrélés dans leur activité, c’est-à-dire que lorsque l’activité de l’un croît, celle dans l’autre décroît.

Cela nous ramène tout droit à la séance de la semaine dernière où l’on avait vu que les oscillations neuronales peuvent contribuer à la formation d’assemblées de neurones transitoires, rendues possible par des synchronisations d’activité qui sont largement distribués dans de vastes réseau à l’échelle du cerveau entier.

L’autre point que je voulais aborder pour conclure ce billet, c’est l’article de Glasser, Van Essen et leurs collègues publiée cet été dans Nature et qui a pour titre « A multi-modal parcellation of human cerebral cortex ». En se basant sur des données du Human Connectome Project, ils ont pu caractériser 180 régions cérébrales par hémisphère délimitées par des changements nets dans la cytoarchitecture, la fonction, la connectivité et/ou la topographie. Cela fait donc 97 nouvelles régions en plus des 83 déjà connues dans la littérature scientifique !

De plus, l’étude présentait un algorithme de reconnaissance des régions cérébrales capable d’apprendre à reconnaître « l’empreinte digitale » multimodale de chacune des 180 régions. Lorsque testé sur de nouveaux sujets, l’algorithme de classification a été capable de détecter la présence de 96.6% des régions corticales.

La communauté scientifique s’entend pour dire qu’il ne s’agit certainement pas de LA carte finale du cerveau. Entre autre parce qu’on peut toujours changer les critères de sélection quand on construit une carte et qu’on obtient alors des cartes différentes. Reste que c’est sans doute la plus précise à ce jour et qu’elle permettra, comme pour le connectome, d’imaginer de meilleurs modèles d’architectures cognitives dans le futur. Et dans un futur rapproché, c’est justement ce sujet que nous aborderons la fois prochaine…

Du simple au complexe | Comments Closed


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