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lundi, 20 septembre 2021
L’influence de notre biologie sur nos affinités politiques

Si vous mettez un rat dans une nouvelle cage, il va d’abord avoir peur et rester dans son coin un instant pour voir s’il n’y aurait pas de prédateurs dans les parages. Au bout d’un moment, si tout semble beau, il va se mettre à explorer la cage parce qu’il a un corps à maintenir en vie et que cet impératif le force à explorer son environnement pour trouver ses ressources. Depuis les tout début de la vie, les organismes vivants sont constamment partagés entre les deux mêmes grandes forces qui œuvrent à la conservation de leur structure : la curiosité qui pousse à l’exploration, à la recherche nouvelles ressources d’une part; et d’autre part la prudence et la peur pour éviter les menaces et les dangers. Il y a là un lien avec ce qu’on appelle, dans notre espèce, la politique. En cette journée d’élection au Canada, j’aimerais rappeler quelques études sur les bases biologiques des deux grandes idéologies politiques qui s’opposent plus ou moins tout le temps dans tous les pays et à tous les niveaux de gouvernement, l’idéologie progressiste, ou « libérale » dans le sens général du terme, et l’idéologie conservatrice.

Plusieurs d’entre elles semblent en effet montrer qu’à la base de ce qu’on appelle aujourd’hui les « progressistes » ou les « conservateurs », il y aurait des prédispositions génétiques non négligeables. Par exemple, comme je l’évoquais plus haut, ces deux « instincts » essentiels à notre survie : la curiosité, ou comme on dit en anglais, le « novelty seeking », et des choses comme la bonne vieille peur ou le dégoût. Cette idée fait encore tiquer certains progressistes et certains conservateurs pour des raisons différentes. Pour les premiers, l’influence de la génétique ou de la biologie en générale sur des choix politiques équivaudrait à abandonner nos idéaux et nos luttes sociales. Pour les seconds, cela va par exemple à l’encontre de leur croyance en un Dieu qui a créé l’être humain à son image où des biais cognitifs issus de notre longue évolution sont difficilement concevables.

Ce qui est quand même bizarre dans tout ça c’est que les progressistes ont pas mal moins de problèmes  avec l’idée qu’on sépare les hommes des femmes aux jeux olympiques pour tenir compte de la différence intrinsèque du taux de testostérones entre les deux sexes. Ou bien qu’un conservateur religieux va être quand même bien content de prendre un médicament qui agit sur ses processus biologiques pour traiter sa maladie ou alléger sa souffrance.

Le fait est que notre expérience de vie et nos valeurs morales ou politiques vont toujours se déployer à partir de prédispositions génétiques, comme nos athlètes de tantôt qui vont se retrouver aux olympiques parce qu’ils avaient à la fois de bonnes prédispositions génétiques et qu’en plus ils se sont beaucoup entraînés. Nos choix politiques n’échappent pas non plus à cette règle. En tout cas c’est la conclusion à laquelle on arrive assez vite quand on regarde les données empiriques. Par exemple, des jumeaux identiques, donc qui ont le même matériel génétique, qui ont été élevé dans des familles différentes, sont plus enclins à avoir des opinions politiques similaires que des jumeaux non identiques, donc au matériel génétique différent, qui ont été élevés dans la même famille. Et selon certains auteurs, entre 40 et 60 % de la variance dans nos positions politiques seraient due à des facteurs génétiques, le reste provenant de notre environnement, en particulier celui de notre jeunesse.

On a aussi toutes sortes d’autres données génétiques plus spécifiques, comme par exemple le fait d’avoir hérité de certaines versions de récepteurs à la dopamine plutôt que d’autres favoriserait des comportements plus ou moins exploratoires. Et donc on retrouve exactement ce qui, au niveau psychologique, semble sous-tendre notre gradient progressiste conservateur au niveau politique dans les sociétés humaines.

On a aussi montré qu’on peut influencer l’idéologie politique juste en jouant avec l’état psychologique des sujets. En les exposant à un contexte menaçant, on est par exemple parvenu à faire adopter à des gens à la base plutôt progressistes des positions plus conservatrices sur des sujets controversés comme l’avortement, le mariage de personnes du même sexe ou la peine de mort. Et ce n’était pas une simple réponse défensive directe à une menace puisque l’enjeu sur lequel les sujets avaient à porter un jugement n’était pas lié à la menace évoquée. Donc ça découlait vraiment juste d’un sentiment de vulnérabilité plus général.

Il y a aussi une autre émotion qui semble jouer beaucoup sur nos choix politique et c’est le dégoût, qui nous a sans doute préservé de bien des maladies par le passé en nous détournant instinctivement de la putréfaction et d’autres corps pustuleux. Une étude montre par exemple que des images repoussantes amènent temporairement les sujets à éviter la nouveauté, un trait de caractère associé à la pensée conservatrice. Ou bien dans une autre, on a montré que les personnes qui s’identifiaient elles-mêmes comme ayant une position politique conservatrice étaient celles qui ressentaient spontanément le plus d’aversion à la vue d’images dégoûtantes, comme celle d’une personne qui mange des vers de terre. On a aussi montré, grâce à l’imagerie cérébrale, qu’un plus grand conservatisme était corrélé avec l’augmentation du volume de lamygdale droite et de l’insula gauche, cette dernière étant justement reconnue pour jouer un rôle dans la perception du dégoût. Cela dit, comme souvent dans ce genre d’étude, on ne peut pas dire si ces différences sont une cause ou une conséquence de l’attitude politique en question.

Le contraire est aussi possible : rendre temporairement des conservateurs plus progressistes ! On a par exemple simplement demandé aux gens de fermer les yeux et d’imaginer, avant de répondre à une série de questions sur des enjeux entourant des changements sociaux, qu’ils étaient visités par un génie pouvant leur donner deux types différents de super pouvoir. Pour certains, c’était celui d’être capable de voler dans le ciel, et pour d’autres, de devenir invulnérable contre toute attaque physique. Les personnes qui avaient imaginé être capable de voler, une simulation considérée comme neutre par rapport à ce qui était étudié, ont répondu aux questions avec le biais correspondant à leur allégeance politique habituelle. Autrement dit, les conservateurs étaient moins favorables aux changements sociaux. Mais dans le groupes de ceux qui s’étaient imaginés invulnérables, les gens les plus conservateurs donnaient des réponses pas mal plus progressistes par rapport à certaines attitudes ou changement social. Donc encore une fois, simplement en manipulant quelque chose de plus profond et ancien relié à notre sécurité et à la survie de notre corps, on peut modifier dans une certaine mesure une position politique.

Tout cela confirme au fond ce qu’on sait depuis toujours, que les politiciens essaient constamment de jouer ainsi sur nos émotions, et non sur notre raison. Tu as beau avoir le programme le plus beau pour le bien commun, c’est plutôt ceux qui versent les plus grosses larmes pour les autochtones ou les victimes de la Covid qui risquent de gagner les élections (en taisant bien sûr le plus possible les enjeux environnementaux susceptibles de déranger les habitudes de l’électorat). Sur ce, bon vote… ou pas ! 😉

De la pensée au langage | Comments Closed


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