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lundi, 17 mars 2014
Remettre en question le droit des compagnies de nous empoisonner

Le dualisme cartésien a rendu l’âme, si vous me permettez ce jeu de mot. Corps et cerveau forment un tout. Les données de la neuroendocrinologie ou de la psycho-neuro-immunologie ne cessent de le confirmer. S’attaquer au corps, affecter sa santé, c’est donc aussi, et peut-être même avant tout, affecter la santé de notre cerveau.

Or il ne fait plus de doute que les multinationales de l’alimentation qui sont derrière la nourriture hyper transformée des tablettes de nos supermarchés l’apprêtent de manière à ce que son goût nous apparaisse plus désirable. C’est-à-dire en y ajoutant une tonne de sucre raffiné et de matières grasses, tablant ainsi sur notre prédisposition de notre cerveau héritée de nos lointains ancêtres à rechercher dans la nature de tels aliments riches en calories. Sauf que le sucre que l’on retrouve dans nos aliments l’est en quantité « industrielle », c’est le cas de le dire, et bien trop concentré pour notre corps comme le rappelait hier un excellent dossier sur la question à l’émission radiophonique Les Années Lumières (premier lien ci-bas).

Mais l’article qui a inspiré ce billet (deuxième lien ci-bas) et dont je me contenterai de résumer et traduire les grandes lignes, présente les conclusions troublantes d’un livre qui vient d’être publié et qui a pour titre : « Lethal But Legal: Corporations, Consumption, and Protecting Public Health ». L’auteur, Nicholas Freudenberg, y défend l’idée que nous sommes devant un problème de santé publique majeur quand la loi met au-dessus de toute chose le droit de faire du profit des entreprises, principe premier du système capitaliste, derrière le droit d’accès à une alimentation saine, par exemple.

Le livre ratisse cependant beaucoup plus large et montre qu’un véritable « complexe industriel voué à la consommation », incluant les multinationales mais aussi les banques et l’industrie publicitaire, font essentiellement la promotion de styles de vie néfastes pour l’organisme.

Comme l’écrit avec humour Mark Bittman dans son article, ces gens ne se lèvent pas le matin en se disant « Comment pourrais-je tuer encore plus d’enfants aujourd’hui ? ». Non, bien sûr. Mais l’aveuglement du profit qui les animent fait que le résultat est… sensiblement le même. Freudenberg détaille ainsi six industries qui utilisent la même rhétorique pour vendre des produits dangereux pour la santé. Ce sont celle de l’alimentation et des breuvages (en particulier les breuvages sucrés, que des chercheurs qualifient de toxiques tellement la concentration en sucre est élevée), l’industrie du tabac, de l’alcool, des armes à feu, l’industrie pharmaceutique et celle de l’automobile.

En considérant ces industries dans leur ensemble, Freudenberg affirme qu’elles cherchent constammment à cristalliser le débat sur la place publique à leur avantage. Ainsi, l’industrie du tabac a pendant des années martelée la question « Est-ce que les gens ont le droit, individuellement, de fumer ? » Et bien sûr il est difficile de dire non puisqu’on parle ici de liberté individuelle. Mais si l’on reformule la question en changeant ce que Lakoff appelle le « frame », et que l’on demande plutôt « Est-ce que les gens ont le droit de respirer de l’air qui n’est pas cancérigène ? », on vient de passer d’une époque où l’on fumait dans les écoles à une autre où l’on doit être à l’extérieur d’un bar pour le faire.

C’est cette voie que nos politiques publiques doivent choisir non seulement pour le tabac, mais pour toutes les industries mentionnées, à savoir : limiter le sacro-saint « droit au profit » des entreprises qui se fait sur le dos de la santé des populations. Et ce, y compris pour l’industrie de l’alimentation qui a l’air faussement moins dangereuse que les autres et où l’on doit mettre de l’avant une question comme « Doit-on tolérer des industries qui incitent à faire des choix alimentaire augmentant les risques de plusieurs maladies et d’une mort prématurée ? ».

Les effets néfastes de la pauvreté sur le cerveau ne sortent pas de nulle part et la piètre information accessible dans les grands médias à laquelle ont accès les populations défavorisées n’est pas pour les aider. Comment avoir un point de vue critique sur ces enjeux dans ces grands médias qui affichent par exemple à pleine page des publicités de S.U.V. ? Voilà pourquoi j’aimerais terminer par un plaidoyer pour les médias indépendants, et signaler le lancement récent d’un agrégateur d’actualités progressiste québécois au www.rezomedia.info Parce que la concentration des médias entre quelques mains (comme c’est le cas au Québec) est aussi toxique pour le cerveau que la concentration de sucre dans une canette de Coke…

i_lien Casser du sucre sur le dos du sucre
i_lien Rethinking Our ‘Rights’ to Dangerous Behaviors
i_lien Lethal But Legal: Corporations, Consumption, and Protecting Public Health

Le corps en mouvement | 1 commentaire


Un commentaire à “Remettre en question le droit des compagnies de nous empoisonner”

  1. Cet article « encyclopédique » qui sort le lendemain de ce billet va tout à fait dans le même sens.

    http://www.theatlantic.com/features/archive/2014/03/the-toxins-that-threaten-our-brains/284466/

    The Toxins That Threaten Our Brains

    Leading scientists recently identified a dozen chemicals as being responsible for widespread behavioral and cognitive problems. But the scope of the chemical dangers in our environment is likely even greater. Why children and the poor are most susceptible to neurotoxic exposure that may be costing the U.S. billions of dollars and immeasurable peace of mind.

    « Low-income families are hit the hardest. No parent can avoid these toxins—they’re in our couches and in our air. They can’t be sweated out through hot yoga classes or cleansed with a juice fast. But to whatever extent these things can be avoided without better regulations, it costs money. Low-income parents might not have access to organic produce or be able to guarantee their children a low-lead household. When it comes to brain development, this puts low-income kids at even greater disadvantages—in their education, in their earnings, in their lifelong health and well-being.”