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mardi, 9 janvier 2018
Des capacités d’intégration neuronale bien plus complexes qu’on le croyait depuis des décennies ?

Pourquoi ne pas commencer l’année avec un billet sur une découverte qui a des allures de révolution ? C’est du moins ce que laisse sous-entendre des titres comme : « Physicists Negate Century-Old Assumption Regarding Neurons and Brain Activity » ! Qu’en est-il au juste ?

Et d’abord quel phénomène neuronal serait ici remis en question ? Rien de moins que le processus de base de ce qu’on appelle l’intégration neuronale : le fait que chaque neurone fait constamment la somme de tous les inputs qui arrivent sur ses dendrites pour « décider » s’il va à son tour émettre un influx nerveux (aussi appelé potentiel d’action). Vous le savez, les dendrites sont toutes ces branches reliées au corps cellulaires et sur lesquelles les axones d’autres neurones viennent faire des connexions qu’on appelle synapses. Celles-ci peuvent être excitatrices si elles élèvent le potentiel de membrane (ce qui le rapproche du seuil de déclenchement d’un influx nerveux dans l’axone de ce neurone), ou bien elles peuvent être inhibitrices si elles abaissent le potentiel de membrane (l’éloignant par le fait même du seuil de déclenchement d’un potentiel d’action).

Et ce que l’on a pu conclure de décennies d’observation, c’est que l’ensemble de toutes ces excitations et inhibitions reçues sur les dendrites s’additionnent constamment (on parle de « sommation spatiale ») dans tout l’arbre dendritique de sorte que le corps cellulaire du neurone reçoit à tout moment un signal « intégré » qui est le résultat de cette arithmétique. Et c’est alors qu’un influx nerveux sera déclenché au tout début de l’axone (à l’endroit où celui-ci part du corps cellulaire pour aller porter son message vers d’autres neurones) si et seulement si le potentiel de membrane est alors plus élevé que le seuil de déclenchement de ce phénomène « tout ou rien » qu’est le potentiel d’action.

Qu’apporte donc de nouveau et de potentiellement si révolutionnaire l’étude du groupe de Ido Kanter par rapport à ce phénomène ? La réponse est dans le titre de leur article intitulé : « New Types of Experiments Reveal that a Neuron Functions as Multiple Independent Threshold Units ». De nouvelles approches expérimentales leur auraient donc permis de montrer qu’il n’y aurait pas un seul endroit dans le neurone où il y a un effet de seuil pour le déclenchement d’un potentiel d’action, mais plusieurs ! Et où se situeraient ces autres endroits ? Un peu partout dans les dendrites… rien de moins !

Si c’est bien le cas, c’est en effet assez troublant, car cela amènerait un niveau de complexité incroyable à l’intérieur même du neurone. Déjà que la « théorie des câbles » de Wilfrid Rall utilisée depuis un demi-siècle pour comprendre l’intégration neuronale n’est pas simple dû à la complexité des arbres dendritiques au innombrables branches dont les diamètres (et donc la résistance au courant électrique) varient énormément en fonction de la distance du corps cellulaire. Voilà qu’on nous explique que certains ensembles de ces dendrites ayant des embranchements communs agissent comme des sous-unités capables d’intégrer les inputs locaux. Et qu’en plus, cette intégration serait sensible à la direction des inputs qui arrivent sur cette portion dendritique ! Ça change pour le moins de la perspective classique des dendrites comme un ensemble unifié qui intègrent passivement et indistinctement tous les signaux qu’ils reçoivent…

Bien sûr, je parle ici de l’idée générale que l’on se fait des dendrites. Celle qui est encore bien souvent présentée dans les livres grand public sur les neurosciences. Car ceux qui travaillent dans le domaine savent depuis longtemps qu’ils s’y passent toutes sortes de phénomènes étranges et dont la signification fonctionnelle nous échappe encore (attribuables, entre autres, aux différents canaux ioniques présents à tel ou tel endroit sur les dendrites).

On n’a qu’à penser à l’un des mécanismes évoqué pour la plasticité synaptique, la plasticité dépendante du temps d’occurrence des impulsions (en anglais « Spike-timing-dependent plasticity » ou STDP, p.121 et 122 de ce lien).

Durant ce phénomène, le déclenchement d’un potentiel d’action dans un neurone provoque également une dépolarisation dans le réseau dendritique de ce neurone par « rétropropagation » (« neural backpropagation », en anglais). Une dépolarisation (i.e. une hausse du potentiel de membrane) qui se déploie spontanément dans les dendrites les plus proches du corps cellulaire à chaque fois que le neurone fait feu, par l’entremise de canaux calciques sensibles au voltage.

Un autre exemple d’observation de potentiels d’action dans les dendrites est celui des “sharp-wave ripple complexes », ces bouffées de potentiels d’action qui se propagent dans le sens inverse du sens habituel de la propagation de l’influx nerveux (qui va des dendrites vers l’axone). On pense que celles-ci contribueraient ainsi à une consolidation sélective de certains souvenirs durant le sommeil en diminuant ou réinitialisant l’intensité des synapses sur les dendrites (« rescaling » ou « reset », en anglais) dans cette structure essentielle au stockage de nos souvenirs explicites qu’est l’hippocampe.

Bref, ce n’est pas d’hier qu’on sait que de potentiels d’action peuvent circuler dans les dendrites et avoir toutes sortes d’effets étrange. Mais force est d’admettre que si les résultats de Kanter et de ses collègues se confirment, on vient de découvrir des potentialités d’intégration encore plus grandes pour les neurones.

Sans parler d’un autre résultat assez dérangeant des expériences de Kanter et son équipe : la mise en évidence de formes différentes de potentiels d’action émis par un même neurone (probablement en fonction de la localisation de la stimulation dans les dendrites), alors que l’idée reçue depuis fort longtemps est qu’un neurone donné produit toujours un potentiel d’action ayant la même forme. Et comme lorsqu’on enregistre dans une région cérébrale plusieurs neurones à la fois on se sert souvent de la forme des potentiels d’actions pour leur attribuer une origine commune ou de neurones différents, ce bon vieux truc pose désormais de sérieux problèmes si un même neurone peut avoir différentes «signatures» d’influx nerveux…

Tout cela fait écho à certains philosophes des sciences cognitives comme Gualtiero Piccinini et Oron Shagrir qui en viennent à la conclusion que le type de calculs ou de « computations » qui se déroulent dans notre cerveau n’est ni complètement digital (malgré la nature tout ou rien du potentiel d’action), ni complètement analogue (malgré le caractère graduel des phénomènes oscillatoire et des fréquences de potentiels d’action tout aussi déterminants dans le codage de l’info), mais bien un genre distinct de computation, la « computation neuronale ». Et l’on voit que cette dernière n’a pas fini de nous livrer ses secrets…

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