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lundi, 29 mars 2021
Que nous révèle un an de pandémie sur la science et la médecine ?

Il y a un peu plus d’un an entraient en scène ces très petits êtres qui bouleversent nos vies, les SARS-CoV-2  pour les intimes. J’avais alors évidemment écrit quelques billets sur cette crise sanitaire sans précédent, attirant l’attention sur quelques angles morts des recommandations du gouvernement québécois en incitant par exemple François Legault à se raviser et à rouvrir les ateliers de vélo pour notre santé immunitaire (ce qu’il fera sous les multiples pressions quelques jours plus tard) ou attirant simplement l’attention sur la santé mentale au temps du confinement. Un an après, que nous apprend la pandémie sur la science, la médecine, la politique et le monde capitaliste dans lequel nous vivons ? Pas mal de choses j’ai l’impression. Entre autres, pour ceux et celles qui en doutaient encore, que ces différentes sphères d’activité sont intimement liées. Retour sur l’an 01 de la COVID-19 à la lumière d’un article récent d’Isabelle Stengers.

Il y aurait d’abord beaucoup à dire sur les faux-pas et les mauvaises directions prises par les « autorités ». Le cafouillage autour des masques et du mode de transmission par aérosol étant peut-être le plus emblématique. Lémission Enquête nous apprenait par exemple jeudi dernier que des scientifiques se battent depuis un an au sein de l’appareil gouvernemental pour élargir l’accès au N95 aux travailleurs de la santé du Québec dont le taux d’infection à la COVID-19 est comme parmi les plus élevés au monde. L’émission nous apprend qu’ils ont été largement ignorés ou censurés. Tout comme l’ont été des médecins au sein même de l’OMS qui plaidaient pour l’utilisation de l’ivermectine ou de la vitamine D comme traitement accessible et efficace contre la COVID-19. Mais encore ici, des « experts » leur mettent des bâtons dans les roues prétextant que les résultats en questions ne sont pas encore appuyés par les standards classiques d’une « évidence based medecine » pour qui hors des « randomized controlled trials » point de salut. Mais qui se fait curieusement pas mal plus conciliante quand vient le temps de sauter des étapes lors des études cliniques pour les vaccins. On est en droit de questionner ce deux poids deux mesures ainsi que la hauteur à laquelle on maintient la barre dans les pratiques de publication, alors que des milliers de personnes meurent chaque jour de la COVID-19 dans le monde.

Je me contenterai dans le reste de ce billet de citer des extraits de cet article d’Isabelle Stengers qui vient d’être publié dans la revue Esprit et qui s’intitule « Que nous apprend la pandémie ? Pour un atterrissage des sciences. ». Ce texte est dense, écrit avec beaucoup de style et aux références multiples, donc pas nécessairement facile à lire. Mais il permet de s’élever un peu au-dessus de la litanie quotidiennes des hospitalisations et des décès, et montre comment cette pandémie a mis au grand jour des problèmes de fond avec une certaine conception de la science où des vérités sont assénées de haut en bas par des « experts » qui ne brillent souvent pas particulièrement par leur ouverture ou leur transparence. Alors que s’il y a une entreprise où ses acteurs doivent être de bonne foi mais doivent chercher à réfuter ou à remettre en question des méthodologies ou des interprétations, c’est bien en science. D’où l’invitation de Stengers de ramener un peu « La Science » sur le plancher des vaches, celui où le doute et la dissidence sont essentiels et sains. Et surtout, qu’on rappelle constamment que la science est une activité sociale qui n’échappe d’aucune façon aux pressions et aux idéologies dominantes.

« Les médiateurs proches, notamment les médecins généralistes qui ont gagné la confiance de leurs patients, n’ont pas été activement associés aux dispositions décidées en haut lieu2. Sans doute parce que beaucoup d’entre ces généralistes sont d’abord des soignants et non des porte-paroles de La Science. Assurer la défense de l’ordre public, la docilité du troupeau, ne serait-ce pas la véritable raison d’être de ce qui est nommé La Science ? »

« On pourrait dire que les prétentions à la scientificité de la médecine moderne placent les médecins dans une situation de tension entre ce que les juristes appellent les obligations de résultats et les obligations de moyens. Du point de vue des résultats, que les patients guérissent devrait être la première priorité, et c’est en effet leur premier et légitime souci, mais du point de vue des moyens, le médecin doit œuvrer au nom de l’autorité de La Science et veiller à se différencier du charlatan qui, lui aussi, est susceptible de guérir3. »

« Nous pouvons maintenant revenir à la pluralité des sciences et au contraste entre la manière dont les chercheurs en laboratoire semblent avoir tenu leurs promesses lorsqu’il s’est agi d’identifier le virus puis de mettre au point un vaccin contre lui, et la recherche tâtonnante de traitements des malades. Le vaccin a un critère de réussite : diminuer au maximum la probabilité que le virus soit capable de pénétrer une cellule et de l’infecter. Le chercheur est ici à son affaire car le problème est bien défini et les statistiques, y compris celles qui portent sur des effets dits secondaires, témoignent de manière fiable pour une réussite. En revanche, lorsque la rencontre entre le virus et le vivant s’est produite, lorsque l’infection a eu lieu, la scène change : c’est le corps entier qui répond sur des modes étonnamment divers et d’intensité variable. Avec le coronavirus, le fameux « Nous ne savons pas ce que peut un corps » de Spinoza a pris toute sa pertinence. Les médecins peuvent décrire, mais toujours après coup ; ils sont forcés de se rappeler qu’au-delà de ses prétentions à la scientificité, la médecine suppose ce qu’Anna Tsing a appelé « l’art d’observer6 », de se rendre sensible à l’inattendu, de faire attention à de petites différences, d’accepter que « ce » corps souffrant – pas un corps anonymisé – a peut-être quelque chose à vous apprendre, qu’il faut entendre afin de l’aider. »

« Le devenir terrestre des sciences est une affaire politique, en ce qu’il n’a aucune chance de se produire tant que l’État s’appuiera sur La Science pour court-circuiter un débat véritablement politique, donnant voix légitime et habilitée aux collectifs qui, aujourd’hui, se rendent capables de participer activement aux questions qui les concernent – quitte à contester les vaches sacrées que sont l’innovation et la croissance. »

« Bientôt sans doute verrons-nous des étudiants se révolter contre les institutions de savoir qui les forment à une science se voulant irresponsable. Et peut-être apprendront-ils à s’adresser sur un mode non insultant à celles et ceux qui en sont venus à tenir pour a priori suspectes, voire mensongères, les assurances de ceux qui savent. Les données de la situation ne cessent de se reconfigurer, la démarcation entre le possible et l’impossible est devenue mouvante. C’est avec cette précarité qu’il s’agit d’apprendre à vivre et à penser, sans croyance en un salut quelconque, mais sans nostalgie pour des idéaux qui nous demandaient d’ignorer ce que nous leur sacrifions. »

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