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lundi, 11 mai 2020
La spécificité du langage humain

Comme l’indique le site web de l’UPop Montréal, l’avant-dernière séance du cours Notre cerveau à tous les niveaux sera donnée en ligne le mercredi 20 mai prochain. Intitulée « Le langage : une propriété émergente de la vie sociale chez les humains », cette 9e séance sur 10, débutera à19h sur la plateforme Zoom. Pour ceux et celle qui connaissent déjà cet outil, le lien pour cette séance est le https://us02web.zoom.us/j/97499809622. Pour les autres, l’événement Facebook de cette séance donne une marche à suivre pas très compliquée pour accéder à la séance avec Zoom. Vous pourrez poser vos questions par écrit à tout moment durant la présentation, et même de vive voix à la fin de celle-ci. Bref, même à distance, nous allons quand même communiquer grâce au langage. Ça tombe bien puisque ce sera le sujet de la présentation…

J’aimerais donc cette semaine m’attarder un peu avec vous sur la spécificité du langage humain, un thème que j’ai senti le besoin d’ajouter assez tôt dans la présentation pour présenter une peu ce qu’on désigne parfois par « le miracle de la parole », une expression qui tente simplement de transmettre notre étonnement devant la complexité du phénomène auquel on s’attaque.

Car bien qu’il n’y ait rien de plus naturel que de parler et comprendre notre langue maternelle, chacune des étapes qui rendent possible le langage sont terriblement complexes et constituent de vastes champs de recherche. Je ne pourrai donc ici que les évoquer sommairement.

Parler, c’est d’abord être capable de produire des sons reconnus par un autre être humain, comme porteurs de sens selon des conventions établies. Chaque langue (il y en aurait actuellement autour de 6 500), est donc un système fini d’unités sonores qui se combinent selon un ordre précis pour former des mots. Ces mots deviennent autant de symboles liés arbitrairement à des choses ou à des idées. Et l’enchaînement de ces mots en phrases permet de véhiculer une infinité d’informations.

Même si le langage est souvent considéré comme indissociable de la pensée, il convient pourtant de distinguer les deux. Penser se rapporterait plus à l’habileté d’avoir des idées et d’en inférer de nouvelles à partir des anciennes. Et parler représenterait une autre habileté, soit celle d’encoder des idées en signaux dans le but de communiquer.

Alors qu’est-ce qui se passe quand on parle ? Ça commence par une idée, une image mentale, bref quelque chose qui entre dans notre champ de conscience et que l’on veut communiquer. Il faut ensuite trouver les bons mots pour l’exprimer dans notre lexique mental, c’est-à-dire l’ensemble des mots que nous connaissons dans notre langue, notre vocabulaire.

Un mot peut être considéré comme une unité minimale de signification que l’on appelle aussi morphème en linguistique. Exemple, dans  » maisonnette  » il y a deux morphèmes :  » maison  » et  » -ette  » qui est le suffixe de diminutif qui donne le sens de petitesse ici. Les morphèmes ont donc une forme (arbitraire selon les langues) et un sens (ou si vous voulez un signifiant et un signifié). Et ce signifié peut être concret (telle chose) ou plus abstrait (la liberté, l’amour, l’infini, etc.)

On distingue aussi les phonèmes qui sont des éléments sonores élémentaires dans la prononciation d’une langue. Les phonèmes s’enchaînent en un ordre donné pour former des morphèmes. Ainsi, les 2 phonèmes du mot « chat » sont notés ʃa . Les phonèmes n’ont toutefois qu’un signifiant (pas de signifié, ils ne désignent rien).

En combinant phonèmes et morphèmes on peut donc construire autant de mots que l’on veut (c’est ce qu’on a appelé la « double articulation » du langage). Ces mots pourront ensuite être combinés entre eux pour produire potentiellement un nombre infini de phrases grâce à la syntaxe qui indique comment utiliser différentes catégories de mots.

Cette combinaison de mots entre eux, selon des règles de grammaire propres à chaque langue, permet d’exprimer encore plus de choses avec une grande créativité au niveau du sens (ce que les linguistes appellent la « productivité » du langage). Ces règles syntaxiques amènent plus de précision et de clarté dans les énoncés car l’ordre des mots dans une phrase a une importance capitale. « L’homme mange l’alligator » et « L’alligator mange l’homme » ont des sens bien différent… Ou, pour reprendre le vieil adage journalistique :« Un chien mord un passant » ce n’est pas une nouvelle, mais « Un passant mord un chien », c’en est une !

La ponctuation acquière aussi une fonction importante : « Venez manger, les enfants » ne signifie pas la même chose que « Venez manger les enfants ». Ni « Passe-moi le livre épais » que « Passe-moi le livre, épais. ». Aussi, certains mots « relationnels » comme « et, le, un, avec » ne désignent rien en eux-mêmes, mais ont une fonction syntaxique dans la chaîne de mot que constitue une phrase. Si on les enlève parce que l’espace est restreint comme dans les petites annonces, cela peut causer problème : « Chien à donner. Mange de tout adore les enfants. », ou encore « Vends armoire pour dames aux pattes courbées. », etc.

Le linguiste Noam Chomsky a montré comment la syntaxe était détachée du sens avec sa fameuse phrase « Colorless green ideas sleep furiously » (« Les idées vertes incolores dorment furieusement. ») qui n’a évidemment pas de sens, mais sa syntaxe correcte nous porte à en chercher un. Cela est possible parce que l’occurrence d’un mot implique la probabilité d’en voir arriver un autre (Si… alors, Soit… ou).

Il faut ensuite que notre cerveau envoie les commandes motrices appropriées à de nombreux muscles de l’appareil phonatoire (cordes vocales, langue, mâchoire, lèvres, etc.) pour prononcer tout ça. La production concrète de la parole implique en effet la vibration des cordes vocales par le passage de l’air dans le larynx. Cet air vibrant traverse ensuite diverses cavités nasales et buccales dont la forme peut varier, ce qui amplifie ou diminue certaines harmoniques. Avancer ou reculer la langue, la monter ou la descendre, va permettre de produire différentes voyelles. Bloquer ou restreindre le passage de l’air de former des consonnes.

La descente de notre larynx au cours de l’évolution amène des risques de s’étouffer en mangeant mais aurait été un compromis pour produire plus de sons pour le langage. C’est vers la fin des années 1960 que Philip Lieberman, constatant que le larynx de l’être humain adulte est situé plus bas que celui des singes dans le conduit vocal,  formule sa théorie de la descente du larynx pour expliquer pourquoi l’humain peut parler et pas le singe.

Pour lui, c’est cette particularité du larynx humain qui nous permettrait de produire les voyelles i/a/ou qui sont présentes dans toutes les langues du monde. Cette théorie était appuyée par le fait que chez les bébés de quelques mois (encore incapables de parler), le larynx n’est pas encore descendu. Et comme à l’époque ce qu’on savait de l’homme de Neandertal permettait de croire qu’il avait aussi un larynx pas descendu, on en avait conclu que lui non plus ne pouvait pas parler, et que donc le langage n’avait pu apparaître que chez Homo sapiens il y a quelque 300 000 ans.

Mais au cours des dernières décennies, l’analyse précise des os du cou de Néandertal a montré que son larynx avait une position comparable à celui d’Homo sapiens. On a aussi démontré qu’un enfant d’un an est capable de produire ces fameuses voyelles même si son larynx n’était pas encore à la « bonne place ». Et l’observation de babouins dans un laboratoire marseillais à l’aide de nouvelles techniques de traitement du signal sonore a permis de constater qu’ils produisaient bel et bien des sons similaires aux voyelles.

Par conséquent, il y a 27 millions d’années, au moment où la branche Homo s’est différenciée des babouins et les macaques, il est très probable que cet ancêtre commun produisaient les mêmes vocalisations que les babouins d’aujourd’hui, et que c’est donc dès ce moment que le conduit vocal a pu être utilisé pour autre chose que pour respirer ou déglutir. Par exemple émettre des sons articulés.

Ces sons, comme tout signal sonore, sont produits par des compressions et des dilatations successives très rapides des molécules d’air. Celles-ci vont faire vibrer le tympan, les osselets, le liquide et les cils des cellules de la cochlée, ce qui produit des influx nerveux dans le nerf auditif.

Le cerveau doit discriminer la fréquence de ces sons et retenir dans quel ordre ils arrivent. Il doit ensuite comprendre le sens des mots (sémantique) et celui généré par la structure de la phrase (syntaxe). Cela est plus facile à dire qu’à faire. Car une personne qui parle dans sa langue n’isole pas les mots entre des silences (comme les espaces qui séparent les mots écrits). Il suffit d’écouter une langue étrangère pour s’en convaincre : difficile d’en isoler les éléments constitutifs. Et pourtant, dans notre langue, on reconnaît les mots individuels à travers cette suite de sons continus grâce à notre lexique mental (ce qui n’est pas le cas pour une langue inconnue). Devant une phrase ambigüe comme « I scream, you scream, they scream, we all scream for ice cream! », on projette inconsciemment la signification la plus probable inspirée de notre connaissance de la langue.

Il nous faudra ensuite intégrer tous les aspects non verbaux du langage, ce que l’on nomme la « pragmatique ». On estime en effet que plus de la moitié des phrases que l’on prononce ne désigne pas littéralement ce qu’on veut dire, du moins pas totalement. C’est le cas de l’ironie, des métaphores et des actes de langage indirects, tous reliés aux intentions des locuteurs. Car au cœur (et peut-être à l’origine) de la communication parlée, il y a un principe de coopération : les gens vont constamment s’aider pour faire avancer la conversation ou l’action. La phrase « Si tu pouvais me passer le bol de guacamole, ce serait super… » n’a rien d’un ordre, mais amènera pourtant le comportement approprié.

Finalement, la compréhension d’un message parlé va dépendre de la prosodie (ou intonation) et des codes non-linguistiques comme les mouvements du corps, ceux des mains, etc. Voilà pourquoi une phrase entendue au téléphone sera moins riche de sens que la même phrase dite par quelqu’un qui est devant nous. Et voilà aussi pourquoi la même phrase écrite aura encore moins de sens possible que celle entendue au téléphone. D’où les nombreux «smiley» des communications électroniques qui tentent de réintroduire la dimension prosodique de la communication.

C’est aussi cet aspect pragmatique de la communication que nous tentons tant de retrouver depuis le début du confinement avec les nombreuses rencontres virtuelles sur des plateformes comme Zoom. Comme lors de cette séance du 20 mai prochain sur le langage…

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