Après nous avoir appuyés pendant plus de dix ans, des resserrements budgétaires ont forcé l'INSMT à interrompre le financement du Cerveau à tous les niveaux le 31 mars 2013.

Malgré tous nos efforts (et malgré la reconnaissance de notre travail par les organismes approchés), nous ne sommes pas parvenus à trouver de nouvelles sources de financement. Nous nous voyons contraints de nous en remettre aux dons de nos lecteurs et lectrices pour continuer de mettre à jour et d'alimenter en contenu le blogue et le site.

Soyez assurés que nous faisons le maximum pour poursuivre notre mission de vulgarisation des neurosciences dans l'esprit premier d'internet, c'est-à-dire dans un souci de partage de l'information, gratuit et sans publicité.

En vous remerciant chaleureusement de votre soutien, qu'il soit moral ou monétaire,

Bruno Dubuc, Patrick Robert, Denis Paquet et Al Daigen






lundi, 13 mars 2017
Nous sommes le fruit de processus dynamiques à différentes échelles de temps

Je donnais la semaine dernière un cours à l’Université du troisième âge de Vaudreuil-Dorion sur la plasticité du système nerveux. Pour l’introduire, j’ai voulu situer la capacité de nos réseaux neuronaux à se réorganiser constamment durant toute notre vie dans une perspective plus large. J’ai voulu, en fait, rappeler que de tels processus dynamiques sont aussi présents à des échelles de temps bien différentes dans le monde animal. Cela a donné le petit tableau ci-dessous qu’il m’a semblé pertinent de présenter ici. J’en décrirai donc très brièvement les quatre cas de figure en insérant quelques hyperliens pour en savoir plus sur chaque niveau.

Le premier, en commençant par le bas dans les deux images de ce billet, est celui de la longue histoire évolutive qui a mené jusqu’à nous. C’est l’échelle de temps la plus longue qui se mesure en millions d’années. Durant ces temps très longs, la reproduction sexuée, accélératrice de diversité, a produit régulièrement des systèmes nerveux mutants ou différents. Certaines de ces variantes vont être viables dans certains environnements et vont ainsi permettre à leurs heureux détenteurs de laisser des descendants ayant ces mêmes systèmes nerveux capables de couplages viables avec cet environnement. J’essaie d’éviter l’expression « mieux adaptée à leur environnement » car elle laisse parfois sous-entendre d’une part que cet environnement est fixe, et d’autre part qu’il y aurait toujours un niveau optimal d’adaptation atteignable par les organismes. Or l’évolution, pour le dire vite, est plus proscriptive que prescriptive. Elle élimine bien sûr certains mutants trop éloignés d’un couplage viable avec leur environnement, mais elle « permet » tout le reste.

Mais peu importe les détails des mécanismes de l’évolution, l’idée est simplement de constater que sur des temps longs, les systèmes nerveux changent constamment. Le corps et le cerveau d’un animal cherchent constamment, pour ainsi dire, à devenir un « modèle » de son environnement (pour employer les termes de Karl Friston dont l’un de ses tableaux dans un article de 2010 m’a inspiré cette mise en perspective).

 

La seconde échelle de temps est liée aux phénomènes épigénétiques. On peut qualifier différents phénomènes d’épigénétiques, terme dont le sens général signifie simplement « après les gènes ». On pense particulièrement ici à deux types de phénomènes : dans le premier cas, certaines molécules qui se fixent sur notre ADN sans en altérer la séquence mais en en modifiant l’expression; dans le second cas, des mécanismes d’élagage de connexions neuronales durant le développement. Le premier peut survenir à tout moment durant la vie d’un individu et dépend d’influences environnementales (ce qu’il mange, les stress qu’il subit, etc.). De plus, on découvre que ces modifications épigénétiques, favorisant ou diminuant l’expression de telle ou telle protéine, semblent pouvoir se transmettre d’une génération à l’autre. On est donc ici sur une échelle de temps de quelques années, décennies ou siècles.

On parle aussi de processus épigénétiques lorsque l’activité du système nerveux durant les premières années de la vie va amener à une élimination de certains neurones et de certaines connexions synaptiques en surnombre ou moins efficaces. Le système nerveux n’apprend pas seulement en augmentant l’efficacité de certaines synapses. Il apprend aussi en éliminant celles qui lui font faire des erreurs. On est donc, ici, dans une échelle de temps de l’ordre des années.

Vient ensuite le troisième niveau, celui de la plasticité neuronale au sens le plus courant. Les connexions synaptiques entre l’axone d’un neurone et l’épine dendritique du neurone suivant forment en effet une structure hautement dynamique qu’on appelle la synapse. Cette synapse subit constamment des modifications moléculaires qui vont faciliter ou rendre plus difficile le passage de l’influx nerveux. Certaines de ces modifications sont biochimiques et ne durent que quelques minutes ou heures. D’autres vont impliquer la synthèse de protéines et amener des changements dans la forme même de la synapse (elle peut augmenter ou diminuer de taille, par exemple). Ces changements structuraux peuvent durer des jours, des semaines, voire toute une vie pour nos plus vieux souvenirs !

Viennent enfin les processus dynamiques dus à l’activité électrique dans les réseaux de neurones de notre cerveau. Ce sont les plus rapides, se déroulant à l’échelle de la seconde, et même de la milliseconde. Ils correspondent à des phénomènes comme la perception, la prise de décision ou l’action qui se déroulent très rapidement et la grande majorité du temps de manière tout à fait inconsciente. C’est alors la formation temporaire et évanescente de coalition d’assemblées de neurones par des phénomènes d’oscillation et de synchronisation d’activité qui sont en jeu.

À chaque instant, vous êtes donc littéralement le produit de toutes ces interactions dynamiques à toutes ces échelles de temps ! Et je terminerai en vous citant la fin de mon billet du 23 janvier dernier où je présentais la belle métaphore du torrent de Sebastian Seung qui résume à merveille ces différents processus dynamiques et leur échelle de temps respective :

Le bouillonnement de l’eau représente alors l’activité nerveuse. À chaque instant, les remous de l’eau n’ont jamais la même forme, tout comme les configurations de notre activité nerveuse. Mais il y a des « attracteurs étranges », des tourbillons dont la forme générale est la même à certains endroits, derrière certains rochers. Tout comme il y a dans notre cerveau de grands réseaux reliés par des « hubs » qui, sans jamais être tout à fait les mêmes, sont reconnaissables lorsque l’on se retrouve dans telle ou telle situation.

Et la beauté de cette métaphore, c’est qu’elle reflète aussi ce qui ce passe à deux échelles de temps différentes. D’abord celle de l’évolution, puisque la forme du lit du torrent, qui contraint le courant, peut être associée aux grandes voies nerveuses de notre cerveau, issues de notre trajectoire phylogénétique. Ensuite parce que, si l’on revient des années plus tard voir notre torrent, le courant aura, au fil des ans, érodé les rives et déplacé les roches de son lit. Et c’est exactement ce qui se passe aussi durant une vie humaine : notre activité nerveuse modifie en permanence la configuration même de nos réseaux nerveux faisant de nous, jour après jour, une personne un peu différente…

 

Non classé | Comments Closed


Pour publier un commentaire (et nous éviter du SPAM), contactez-nous. Nous le transcrirons au bas de ce billet.