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lundi, 3 octobre 2016
« La cognition incarnée », séance 5 : Activité endogène, oscillation et synchronisation de l’activité dynamique du cerveau

Comme à chaque lundi de cet automne, voici un bref aperçu de la prochaine séance du cours sur la « cognition incarnée » que je donnerai mercredi prochain à 18h au local A-1745 du pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM.

Comme l’indique le plan du cours, après avoir jeté les bases du vivant et de la boucles sensori-motrice au centre de tout système nerveux, nous avons regardé un peu comment les neurones avaient développé leur excitabilité et leur plasticité afin de communiquer entre eux et de retenir leurs bons et leurs mauvais coups.

Nous allons cette semaine regarder ce qui se passe avec cette activité nerveuse quand on la considère dans de vastes assemblées de neurones (ce qu’est le cerveau, après tout…). Et nous allons constater que des phénomènes oscillatoires rythmiques émergent de l’interaction des populations neuronales et qu’il ne s’agit pas d’un simple épiphénomène : le cerveau utilise ces rythmes comme un outil computationnel de plus dans son répertoire.

Mais avant, quelques considérations sur le caractère endogène de l’activité cérébrale. En fonction de son poids, le cerveau est de loin l’organe le plus énergivore du corps humain. Il représente 2% du poids du corps mais consomme en moyenne constamment 20% de l’oxygène et du glucose consommé. Et ce, même quand on est « dans la lune » ou quand on dort. Et curieusement, lorsqu’on fait une tâche exigeante mentalement, cette  consommation d’oxygène et de glucose n’augmente que d’environ 5%. Comme si le cerveau était en fait toujours en train de s’affairer à faire ses propres affaires et que ce qu’on lui demande ou ce qui lui parvient de l’extérieur était somme toute assez secondaire !

Et devinez quoi ? C’est cette conception, à l’opposée d’un cerveau relativement passif qui attend ses stimuli internes ou externes pour s’activer, qu’on découvre comme étant beaucoup plus proche de la réalité depuis une décennie au deux. Autrement dit, on est passé d’une conception « réflexive » de l’activité cérébrale (qui datait des travaux de Sherrington sur les réflexes il y a un siècle), à une conception « intrinsèque » de cette même activité nerveuse. Pour paraphraser Graham Hoyle : « S’il y a un input qui parvient au système nerveux, pas de problème, il va en tenir compte. Mais le système nerveux produit d’abord spontanément de l’activité endogène à tout moment. Et la plus grande erreur est de considérer le cerveau comme un appareil qui ne fait que répondre à des inputs par des outputs. ».

Il s’agit donc d’un changement de paradigme important qui entraîne forcément un changement de vocabulaire. Déjà Maturana et Varela, qui ont très tôt considéré le système nerveux de cette façon, préféraient parler de « perturbations » pour désigner les stimuli qui affectent nos sens. Ce qui impliquait que le cerveau était constamment en train de générer ses patterns d’activité endogène et que ce qui lui parvenait de l’extérieur ne l’informait pas au sens fort, mais ne faisait que perturber quelque chose qui s’y passait déjà.

Varela se plaisait d’ailleurs aussi à rappeler que ce qui parvient comme input au corps genouillé latéral, une partie du thalamus considérée traditionnellement comme un simple relai entre la rétine et le cortex visuel, était à 80% constitué d’afférences de différentes parties du cerveau. Il ne restait donc qu’un petit 20% pour ce rôle de « relai », ce qui montre bien que le terme était abusif et que le corps genouillé latéral était bien plus informé par ce qui se passait ailleurs dans le cerveau que par le monde extérieur.

Si nous descendons maintenant une électrode à travers les couches de neurones du cortex cérébral, qu’allons-nous enregistrer ? Sans surprise, beaucoup d’activité électrique ! La somme, en fait, de tout ce qui se produit autour de la pointe de cette électrode : les courants de dépolarisation et d’hyperpolarisation sur les dendrites des neurones avoisinants, tout comme les potentiels d’action qui sont également déclenchés à tout moment le long de l’axone de ces neurones.

Une partie de ces influx nerveux peut être générée spontanément par les neurones (on parle « d’activité spontanée »). Ce taux de décharge de base pourra être ensuite modulé à la hausse ou à la baisse par les excitations et les inhibitions reçues par les connexions venant d’autres neurones. Et bien sûr, ces décharges de potentiels d’actions seront plus souvent qu’autrement irrégulières, c’est-à-dire par bouffées entrecoupées de moment d’inactivité. Ce pattern « activité – silence – activité – silence… » pourra être aussi grandement accentué par la connectivité en boucle typique du cerveau où, par exemple, un neurone excitateur stimule un neurone inhibiteur qui, en retour, inhibe ce neurone excitateur. Il en résultera, encore une fois, un pattern d’activité nerveuse de type « train de potentiels d’action – silence – train de potentiels d’action – silence », etc.

Or notre électrode enfoncée dans le cortex va enregistrer tous ces « champs électriques locaux » en même temps. Elle recueillera, tout comme les électrodes de l’électroencéphalogramme (EEG) que l’on applique sur le crâne, la somme de ces fluctuations électriques. Et qu’est-ce que cela va donner quand on observe ces courants en continu dans le temps ? Des oscillations. Les fameux rythmes cérébraux auquel on a donné les jolis noms d’alpha, bêta, thêta, gamma, etc., sont simplement la somme des activités fluctuantes des milliers de neurones du cerveau qui se trouvent dans une région cérébrale. Chaque catégorie de rythme correspond donc à une fenêtre de fréquence d’oscillation. Par exemple, 0,5 à 4-5 Hertz pour les rythmes deltas, les plus lentes, ou de 25 à 100 Hertz et même plus pour les rythmes gamma, les plus rapides.

Il faut bien distinguer ici ce phénomène oscillatoire en tant que tel à un autre qui naît en quelque sorte de celui-ci, la synchronisation des oscillations. En effet, une oscillation a une certaine fréquence oscillatoire, par exemple 25 Hertz. Imaginez deux populations de neurones qui oscillent à ce même rythme. Le sommet du cycle oscillatoire de l’un peut alors être synchrone avec celui de l’autre, ou bien il peut y avoir un décalage entre le deux. Et c’est dans le premier cas seulement qu’on va pouvoir parler de synchronisation d’activité neuronale, quand le rythme oscillatoire ET la phase sont les mêmes. Cette synchronisation d’activité pourra alors acquérir plusieurs rôles fonctionnels dans le cerveau, comme on va le voir dans un instant.

Mais d’abord, rappelons-nous, qu’il fut un temps, pas si lointain dans l’histoire des neurosciences, où le caractère chaotique de l’ensemble de ces oscillations, associé à du bruit de fond, était peu considéré, voire ramené à un épiphénomène sans importance. Cette époque est toutefois bien révolue et la dimension temporelle de l’activité cérébrale qui se traduit par ces rythmes cérébraux et cette synchronisation d’activité est maintenant au cœur des travaux dans des champs de recherche complexes comme le sommeil ou la conscience.

Pour György Buzsáki, un spécialiste des rythmes dans le cerveau, les oscillations sont une façon très économe pour le cerveau de favoriser une synchronisation d’activité neuronale soutenue entre de vastes populations de neurones. Car lorsque deux de ces populations oscillent au même rythme, il devient beaucoup plus facile pour elles de synchroniser un grand nombre d’influx nerveux en adoptant simplement la même phase dans leur oscillation. Du coup, ce sont des assemblées de neurones entières qui se « reconnaissent et se parlent ».

Et qu’est-ce que cela peut donner qu’elles se « parlent » ainsi ? Plusieurs choses. On reconnaît aujourd’hui en effet différents rôles fonctionnels possibles des oscillations et synchronisations cérébrales.

Elles pourraient par exemple permettre de lier différentes propriétés d’un même objet perçu. La couleur, la forme ou la localisation des objets dans notre champ visuel étant traité dans des aires visuelles spécialisées situées à différents endroits dans le cortex occipital, comment se fait-il que nous ne mélangions pas la couleur de l’un avec la forme de l’autre ou avec l’emplacement d’un troisième ? Souvent appelé le “binding problem” en anglais, il peut se résoudre en partie si l’on imagine que les populations neuronales qui oscillent au même rythme et sont synchronisées attribuent, si l’on peut dire, leur propriété à un même objet, par exemple un chapeau noir de forme ovale accroché sur le porte-manteau. En d’autres termes, ce qui est en phase et synchronisé dans notre cerveau nous apparaîtrait subjectivement comme étant des propriétés liées à un même objet.

La synchronisation d’activité pourrait aussi servir à bien d’autres choses. On pense qu’elle peut par exemple contrôler le flux d’information dans certaines régions du cerveau. Ou encore, créer des fenêtres temporelles où certains phénomènes sensibles à la synchronisation d’activité (comme la potentialisation à long terme, avec son récepteur NMDA si sensible à la coïncidence d’activité entre deux neurones) pourrait alors se produire plus facilement.

Plus généralement, si le potentiel de membrane d’un neurone oscille, il y aura des moments où c’est plus facile pour lui d’atteindre le seuil de déclenchement d’un potentiel d’action (dépolarisation) et d’autres moins (hyperpolarisation) favorisant par exemple certaines perceptions qui peuvent être en phase avec ses oscillations. On pense ainsi que nous pouvons nous-même mettre en phase certaines de nos activités neuronales avec un signal extérieur qui a lui-même un rythme pour mieux le percevoir. On pense à un rythme d’élocution d’un interlocuteur dans un bar bruyant, par exemple.

On le voit, les rythmes cérébraux sont loin d’être du « bruit » dans le système, justement. Ils sont au cœur de nos capacités computationnelles, au même titre que le taux de décharge de nos neurones. Si on les considère davantage aujourd’hui, c’est peut-être parce que les techniques d’enregistrement de l’activité globale du cerveau se sont beaucoup améliorées depuis quelques décennies. Elles ont aussi permis de voir les grandes « autoroutes de fibres nerveuses » qui traversent notre cerveau et qui contraignent cette activité endogène oscillatoire de nos neurones. C’est de cette géographie globale à l’échelle micro, méso et macro dont nous allons parler la semaine prochaine.

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