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mardi, 14 octobre 2014
Un Nobel pour les travaux sur les neurones de l’orientation spatiale

On a beaucoup entendu parler ces derniers jours de l’attribution du Prix Nobel de médecine à Américano-Britannique John O’Keefe et au couple norvégien May-Britt et Edvard Moser pour leur recherches sur le «GPS interne» du cerveau. Belle analogie, mais qui ne doit pas faire oublier que bien avant l’invention de ce gadget, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont su s’orienter dans leur environnement pour migrer, suivre le gibier ou simplement retrouver leur campement.

Ceux et celles qui n’y parvenaient pas ou mal ont moins bien survécu. Les autres qui ont pu se faire une carte mentale de leur environnement et la suivre ont laissé plus de descendant.es. Ainsi va la sélection naturelle

De sorte que, aujourd’hui, on possède tous cette capacité de se construire des cartes mentales pour s’orienter, comme le font d’ailleurs bien d’autres espèces animales. C’est d’ailleurs en étudiant les rats que John O’Keefe a constaté, au début des années 1970, que certains neurones de l’hippocampe devenaient plus actifs quand l’animal se trouvait dans à un endroit particulier dans sa cage, et pas ailleurs. Grâce à un dispositif innovateur permettant au rat de se déplacer librement et d’enregistrer en même temps l’activité de neurones de l’hippocampe, on a bientôt compris qu’à chaque endroit dans la cage on pouvait trouver de ces « cellules de lieu » (« place cells », en anglais) dont l’augmentation d’activité pouvait renseigner l’animal sur l’endroit où il se trouvait.

Un peu plus tard, dans les années 1980, J. B. Ranck Jr. montre que d’autres neurones d’une région voisine de l’hippocampe augmentent leur activité cette fois-ci quand la tête du rat pointe dans une direction précise dans le plan horizontal. Et encore une fois, toutes les directions sont couvertes par l’ensemble de cette population neuronale.

Mais c’est la découverte des cellules de quadrillage ou de grille (« grid cells », en anglais), par May-Britt et Edvard Moser au milieu des années 2000, qui allait révéler toute la complexité de notre système de navigation. Cette fois, les neurones semblaient s’activer un peu n’importe où quand le rat se promenait dans la cage. Mais en cartographiant sur une longue période tous les endroits provoquant une activation pour l’une de ces cellules situées dans le cortex enthorinal (la « porte d’entrée » de l’hippocampe), les Moser ont constaté que la cellule faisait feu à intervalle régulier dans l’espace, et que l’ensemble de ces points formait une véritable grille hexagonale quadrillant tout l’espace. Cela veut dire que lorsque le rat se déplace, différentes cellules de quadrillage vont être successivement activées, à mesure que le rat va traverser les intersections de ces autres grilles légèrement décalées. Il devient alors possible pour l’animal d’enregistrer un véritable parcours mental, avec une direction durant une certaine distance, puis un changement de direction suivi sur une autre distance, etc.

Au cœur du système de navigation qui émerge de toutes ces données se retrouvent donc les cellules de lieu qui jouent un peu le rôle du « vous êtes ici » que l’on retrouve souvent sur une carte. Mais ces cellules de lieu, pour déterminer cette position, reçoivent constamment les inputs d’autres cellules, notamment les cellules de quadrillage formant un parcours mental de nos déplacements, ainsi que d’autres inputs sensoriels comme ceux des cellules de frontière (« boundary cells », en anglais), une autre sous-catégorie de neurones caractérisés durant les années 2000 et qui répondent à la présence de la frontière d’un élément de l’environnement qui se trouve à une certaine distance de l’animal.

Voilà donc un modèle riche et complexe permettant de comprendre un comportement qui l’est tout autant : l’orientation du rat dans l’espace. Mais qu’est-ce qui nous dit que les choses se passent de façon similaire chez l’humain ? Pas évident, en effet, d’enregistrer directement des cellules de quadrillage chez un humain avec des électrodes enfoncées dans son hippocampe pendant qu’il se promène dans un parc…

Une étude publiée en 2013 a toutefois profité du fait qu’un patient alité en attente d’une chirurgie pour l’épilepsie avait des électrodes intracrâniennes dans l’hippocampe. Et ils ont réussi à mettre en évidences des cellules de quadrillage avec un jeu vidéo d’une ville virtuelle (voir le 4e lien ci-bas).

De nombreuses hypothèses tentant de faire des correspondances fonctionnelles entre l’hippocampe de rat et celui des humains s’en sont trouvées renforcées. Comme celle, fascinante, de György Buzsáki et Evard Moser postulant une continuité évolutive entre la navigation spatiale et la mémoire déclarative humaine, déjà présentée dans ce blogue.

Moser qui nous ramène au prix Nobel de médecine de cette année, le sien mais aussi celui de sa femme (la 11e femme seulement à le recevoir en 114 ans) et de leur mentors John O’Keefe. O’Keefe qui publia sous forme de livre en 1978 les quelques données dont il disposait à l’époque, assorties de réflexions philosophiques sur notre orientation dans l’espace, un type de publication pour le moins atypique pour inaugurer un domaine de recherche qui allait le conduire au Nobel. « The Hippocampus as a Cognitive Map » est aujourd’hui épuisé, mais O’Keefe en a racheté les droits à l’éditeur, et il offre maintenant gratuitement en format pdf sur le Net (voir le dernier lien ci-bas, dont la bande passante semblait saturée au moment d’écrire ces lignes, rançon de la gloire sans doute…).

Un dernier bref commentaire sur cette histoire, parce qu’elle en dit long sur notre époque. C’est celui de Daniel Guitton, ami de John O’Keefe qui avait avec lui étudié à l’université McGill et qui a été interviewé à l’émission radiophonique Les années lumières de dimanche dernier. Guitton qui concluait l’entrevue en rappelant que c’est le système de financement très conservateur aux États-Unis et au Canada, favorisant les idées populaires du moment, qui avait fait fuir O’Keefe en Angleterre. Car ses travaux étaient pour le moins hors norme au début, avec peu de données difficiles à quantifier et par conséquent à subventionner. Et Guitton de conclure qu’actuellement, avec ce système, on est probablement en train d’empêcher le financement des futurs John O’Keefe.

i_lien Un Nobel de médecine partagé à trois sur notre «GPS interne»
i_lien Nobel de médecine: 11e femme en 114 ans
i_lien Les années lumière
a_lien Direct recordings of grid-like neuronal activity in human spatial navigation
a_lien A Who’s Who and What’s What of Place Cell Research
a_lien The Hippocampus as a Cognitive Map

Dormir, rêver... | Comments Closed


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