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lundi, 3 juin 2013
Mieux penser le vivant en utilisant ses mots

Début 2013, Hélène Trocme-Fabre vient de lancer une réédition augmentée de son « Langage du vivant » d’abord publié en 2004. C’est le fruit d’une longue réflexion qui a amené cette linguiste férue de neurosciences à mettre en évidence « l’immense fossé qui sépare nos langues européennes du langage du vivant. »

En clair, les mots que nous utilisons, nous, êtres vivants, pour essayer de nous comprendre, sont très loin des réalités que la biologie et les sciences cognitives contemporaines dévoilent depuis quelques décennies. Et comme le langage demeure le meilleur (ou le moins pire) outil d’accès à la connaissance dont nous disposons, cela pose problème.

Le langage du vivant s’ouvre donc sur un examen des particularités langagières des langues européennes. L’auteure y constate par exemple  l’omniprésence du  verbe « avoir » qui nous lie à nos relations d’objet (j’ai un livre), aux relations temporelles (j’ai cinq minutes pour vous), à nous-mêmes, (j’ai de la mémoire), aux autres (j’ai un ami). « Avoir un ami » peut pourtant se dire autrement, comme en hébreu, où il signifie plutôt  « un ami vers moi ».

Quant à notre verbe être, on lui confie plusieurs rôles souvent assumés par des mots différents dans d’autres langues : localiser (il sera là), identifier (c’est un papillon), exprimer une perception (l’odeur est forte), un état (je suis heureux), etc. Il se trouve dans toutes ces utilisations pour ainsi dire « immobilisé », alors que tout ce qui vit est plutôt « en devenir ». Et Trocmé-Fabre rappelle dans les pages qui suivent certaines de ces grandes caractéristiques du vivant qui sont si mal reflétées par les mots de notre langage courant.

Car outre le fait que le vivant soit en perpétuel mouvement, il se relie en permanence avec son environnement, cherche son équilibre entre continuité et changement, il donne et il reçoit. Et s’il est doté d’un système nerveux, il forme des boucles sensori-motrices qui lui permettent de chercher les ressources qui lui sont nécessaires dans cet environnement. Et c’est sur cette boucle que va se greffer, au fil de l’évolution, la mémoire, l’apprentissage  accueillir le nouveau dans le déjà là »), l’attention, la compréhension, l’intention, l’imagination, etc.

Ce n’est pas un hasard si l’auteure rend hommage, au début de son ouvrage, à Francisco Varela qui « a éclairé [son] regard sur le vivant ». On voit la marque du théoricien de l’autopoïèse quand Trocmé-Fabre (qui a collaboré à la traduction française de « L’arbre de la connaissance », de Varela et Maturana) écrit : « [Le vivant] construit la signification du réel. Le sens émerge de ses couplages avec l’environnement, avec les autres et avec lui-même. La relation signesens résulte de l’histoire de chacun (de sa culture et de sa biographie personnelle). »

Avant d’être des humains parlant, nous sommes des vivants, et l’idée centrale du bouquin est donc de reconfigurer notre langage au plus près du vivant. C’est pourquoi l’auteure propose dans la seconde partie un réseau de « 100 mots clés » qui traduisent une vision dynamique du vivant, beaucoup plus proche des autres et de soi-même.

Parce qu’un arsenal langagier est bien autre chose que de simples mots. Il cache des croyances implicites sur ce qu’est la vie et sur notre compréhension du monde. On s’enferme ainsi encore trop souvent inconsciemment dans un mode de pensée dualiste qui nous incite à réfléchir en termes d’opposition et d’alternative.

Et si, comme le disait Pierre Bourdieu, «Changer les mots c’est changer les choses», il faut, comme nous invite à le faire Hélène Trocmé-Fabre, changer ce vocabulaire. Comme celui du « ou bien, ou bien » qui ferme la porte à la troisième voie, à l’inattendu, à l’innovation. À la vie, quoi.

i_lien Le langage du vivant. Une voix, une voie en sommeil ?
i_lien Vivants
i_lien Les mots forgent notre regard sur le mourir…

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