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lundi, 9 décembre 2019
La tentation des étiquettes fonctionnelles dans le cerveau : le « cas » du cervelet

C’est ce mercredi le 11 décembre qu’aura lieu la cinquième séance du cours «Notre cerveau à tous les niveaux» donné en collaboration avec l’UPop Montréal et le café Les Oubliettes. Il s’agira donc de la dernière séance de ce cours avant la pause du temps des Fêtes et la suite de nos aventures à la session d’hiver de l’UPop avec cinq autres séances à partir du mois de février. Le billet de la semaine dernière donnait un aperçu de la diversité des approches qui seront présentées durant cette cinquième séance intitulée « Cartographier des réseaux de milliards de neurones à l’échelle du cerveau entier  ». Je mettais déjà en garde au passage contre la tentation d’accoler des étiquettes fonctionnelles trop précises à des régions particulières du cerveau. Et je donnais comme exemple de cette conception trop « modulaire » du cerveau la fameuse aire de Broca qu’on associe automatiquement au langage mais qui s’active dans bien d’autres situations. Je développerai aujourd’hui un peu plus cette idée du cours de mercredi avec le cas fascinant du cervelet.

Pour introduire le cervelet, il faut d’abord se rappeler qu’à mesure que le corps des animaux s’est complexifié durant l’évolution, il a reçu une pression adaptative pour être de plus en plus efficace dans ses mouvements. Et le cervelet a justement été une structure cérébrale qui a été très impliquée dans ce processus.

Évoquons tout de suite l’aspect le plus étonnant du cervelet. Il y a environ 86 milliards de neurones dans le cerveau humain. Notre cortex cérébral représente environ 80% du poids du cerveau et comprend environ 16 milliards de neurones. De son côté, le cervelet qui ne représente environ que 10% du poids du cerveau comprend néanmoins près de 69 milliards de neurones ! C’est donc plus des trois quart des neurones de notre cerveau qui sont situés dans cette petite structure cérébrale que constitue le cervelet !

Chaque signal qui arrive dans le cervelet est traité par environ 10 000 cellules dites granulaires qui comptent parmi les plus petits neurones du cerveau (d’où la possibilité d’en accumuler un si grand nombre dans un si petit endroit). Par la suite, le calcul est simplifié : environ 200 000 cellules granulaires sont reliées à une seule cellule de Purkinje (les plus gros neurones du cervelet) qui envoie un signal en retour au reste du cerveau (voir l’image ci-dessous. Source : Schematic representation of the neuronal circuit of the cerebellum.).

On sait depuis longtemps que les patients atteints de lésions cérébelleuses ont des difficultés à se déplacer ou présentent des troubles de la motricité fine (ce qui est le plus handicapants pour les patients qui s’en plaignent évidemment beaucoup). Le cervelet semblait donc essentiellement impliqué dans la coordination et la synchronisation des mouvements.

Sauf que, comme l’explique le neuropsycho­logue Jörn Diedrichsen :

« Si vous regardez l’activité du cervelet en imagerie cérébrale, vous constatez qu’environ 70 % de ses neurones n’ont apparemment presque rien à voir avec le contrôle moteur. Seuls 30 % s’activent vraiment quand on réalise des mouve­ments.

Il est maintenant clair que cette structure est impli­quée dans tous les processus pour lesquels nous utilisons également le reste de notre cerveau : les pensées, les émotions, le langage et même la mémoire »

On sait en effet aujourd’hui que le cervelet aide à coordonner dans le temps les schémas de nombreux types d’apprentis­sages (par exemple, à partir d’une entrée sensorielle donnée, calculer le bon moment pour une action motrice). Il agit ainsi comme une sorte de sous-traitant, étant capable d’effectuer ce type calcul spé­cifique pour divers processus mentaux. Par conséquent, le cervelet « s’allume » dans presque toutes les tâches en imagerie cérébrale et son activation est souvent moins analysée au profit du cortex, mieux connu et plus « valorisé » dans la recherche en général. Diedrichsen raconte cette anecdote révélatrice à l’effet qu’il reçoit souvent des courriels de collègues qui lui demandent pourquoi le cer­velet s’active lors de telle ou telle tâche et s’ils n’ont pas fait une erreur lors de la collecte des données…

Un exemple parmi tant d’autres pourrait être cette étude de 2017 publiée dans le Journal of Neuroscience qui montre une activation de certaines régions du cervelet lors d’une tâche où les sujets devaient compléter des phrases. Comme l’écrivent les auteurs :

« These results are consistent with a role for the right posterolateral cerebellum beyond motor aspects of language, and suggest that cerebellar internal models of linguistic stimuli support semantic prediction.”

Car comme on l’a vu à la séance précédente, la majorité des structures cérébrales sont en fait constituées de nombreuses sous-régions qui entretiennent entre elles et avec d’autres structures cérébrales des connexions spécifiques. Et le cervelet n’échappe pas à ce mode d’organisation. Dans son cas, c’est la partie la plus latérale, le néo- ou ponto-cervelet qui s’est le plus étendu durant l’hominisation, qui rend possible une “mise au point” rapide, non seulement des mouvements mais aussi des pensées. Et même des réactions émotionnelles, pour qu’elles soient précises et appropriées aux yeux d’observa­teurs extérieurs (ce qui n’est pas le cas suite à des lésions du cervelet, par exemple).

Des images qui suscitent des émotions activent ainsi différentes zones du cervelet. Celui-ci est directe­ment connecté à l’amygdale, un important centre émotionnel. De nombreuses émotions ont d’ailleurs une composante motrice, par exemple la peur avec la réaction de fuite ou de lutte. L’énorme capacité de calcul du cervelet nécessaire à l’inté­gration sensorimotrice semble donc avoir été utilisée pour d’autres processus neuronaux au cours de l’évolution, ce qui constitue un autre exemple de recyclage neuronal.

* * *

Parlant de recyclage, ce serait peut-être une bonne idée de considérer cette pratique également pour vos cadeaux du temps des Fêtes. À moins que vous ne préfériez, bien entendu, le mode de vie décrit dans “Happiness”, un court métrage qui n’est pas sans évoquer Laborit et Resnais (mon dernier billet sur le site Éloge de la suite). De mon côté, je vous proposerai la semaine prochaine une sorte « d’échange de cadeaux », si l’on peut s’exprimer ainsi…

Dormir, rêver... | Comments Closed


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