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mardi, 23 avril 2019
Trois critiques à la méditation “pleine conscience”

On entend beaucoup parler de méditation “pleine conscience” (“mindfulness », en anglais) depuis quelques années. C’est en fait devenu l’une des tendances les plus à la mode comme technique anti-stress, répertoriée tant dans lignes directrices des organismes internationaux de santé que dans les bottins locaux de cours et d’ateliers. Sans parler des applications mobiles de nombreuses compagnies qui vous permettent de méditer dans le confort de votre foyer, tout en générant annuellement des dizaines de millions de dollars de revenus pour ces compagnies. On parle même d’un milliard de profits annuels pour l’ensemble de cette industrie !

Je voudrais cette semaine présenter brièvement trois critiques qui ont été adressées à différents aspects de la méditation pleine conscience. Et j’irai de la plus évidente à la plus subtile. D’abord sa récupération capitaliste, ce qu’on a appelé la « McMindfulness ». Ensuite deux critiques qui découlent d’une conception trop « cerveau centrée » de la méditation dans la culture populaire : une critique sur la fragilité des évidences empiriques disponibles quant aux changements cérébraux observés lors de la pratique régulière de la méditation; et une critique plus conceptuelle sur l’importance du corps et de l’environnement social entourant cette pratique.

La première critique est fort bien résumée dans un article publié la semaine dernière dans The Guardian par David Forbes et ayant pour titre : McMindfulness – how capitalism captured the mindfulness industry. La méditation revêt les habits du fast food lorsque, explique Forbes, elle est utilisée consciemment ou non à des fins individualistes qui vont à l’encontre des philosophies orientales d’où elle provient, celles-ci mettant de l’avant un lâcher prise par rapport à l’ego et une compassion dirigée vers les autres. Au contraire, la fonction première de la McMindfulness est devenue thérapeutique dans le sens où elle cherche à calmer et réconforter l’individu dans son rôle au sein d’une société néolibérale dominée par des multinationales toujours en quête de plus de profits, et ce bien souvent au péril de notre santé. La méditation devient ainsi un simple outil individuel anti-stress qui ne questionne d’aucune façon les causes sociales de ce stress, leurs déterminants économiques et politiques.

Pire encore, dans l’industrie la McMindfulness est devenue une méthode à la mode pour gérer la détresse des employés tout en les gardant « focussés » sur les objectifs lucratifs de la compagnie. Cette incitation passive à accepter le statut quo découle d’une conception individualiste de la méditation pervertie par la mentalité productiviste ambiante. Une conception qui fait fi des implications morales de toute véritable pratique méditative, à savoir la compassion pour autrui qui émerge de la prise de conscience de notre inséparabilité d’avec les autres. Et la clarté d’esprit nécessaire pour remettre en question les pratiques et structures sociales qui altèrent le tissu social, l’équité et la justice. Des problèmes qui ont beaucoup à voir, justement, avec le système économique actuel où fleurissent les compagnies qui vendent les applications de méditation…

Les deux autres critiques sont fort bien articulées dans un chapitre du livre « Casting Light on the Dark Side of Brain Imaging » (Academic Press, 2019). Écrit par Michael Lifshitz et Evan Thompson, ce chapitre intitulé What’s wrong with “the mindfulbrain »? Moving past a neurocentric view of meditation met en lumière deux difficultés liées à cette conception voulant que méditer c’est changer notre cerveau. Pas que celle-ci soit complètement fausse : on sait que tout usage répété de notre cerveau en modifie les connexions neuronales. Que l’on s’entraîne à notre sport favori ou que l’on étudie, des réseaux de neurones sont renforcés et se « trouveront » plus facilement à l’avenir. Et il n’en fait probablement pas exception pour des pratiques comme la méditation où ce sont des choses comme nos capacités d’attention qui peuvent être ainsi renforcées.

Et depuis une ou deux décennies l’on a mis plusieurs athlètes de la méditation dans des scans (les Mathieu Ricard et autres moines bouddhistes) que l’on a comparé à des novices de la méditation. Et l’on a trouvé certaines régions corticales qui étaient un peu plus épaisses chez les experts de la méditation. Mais voilà que des questions épistémologiques et empiriques classiques se pointent dans la discussion de ces résultats (un peu comme dans le billet de la semaine dernière). Est-ce que les méditants experts ont développé ces épaississements à force de méditer ou bien sont-ils devenus des experts à rester concentrés longtemps parce qu’ils avaient déjà ces épaississements qui favorisent cette concentration. Pour départager les deux options, on a fait de nouvelles études chez les mêmes individus avant et après des entraînements de plusieurs semaines à la méditation. Et l’on a aussi trouvé des zones, parfois communes avec les premières études, qui avaient pris de l’épaisseur. Mais comme les techniques d’imageries sont lourdes et coûtent cher, c’est très souvent des études avec moins de 20 individus, ce qui amène des résultats statistiques pas très « puissants », sans entrer dans les détails. Bref, on en est là et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il faut être extrêmement humble et prudent quand vient le temps de parler des modifications cérébrales associées à la méditation, et encore plus sur leur signification, bien entendu.

Il y a enfin plusieurs autres problèmes associés à une conception de la méditation trop centrée sur le cerveau. On néglige ainsi l’influence du corps et tout le contexte social. De récentes études ont par exemple montré que la position de notre corps influence son activité cérébrale. Être assis ou allongé sur le dos change l’activité cérébrale de base. On a même démontré que notre posture influence particulièrement l’activité de régions cérébrales justement associé à la méditation, comme le réseau du mode par défaut.

D’autres expériences ont montré comment le contexte social peut avoir des effets importants sur l’expérience subjective de la méditation. L’une d’entre elles suggérait par exemple à la moitié d’un groupe de novices en méditation que celle-ci allait améliorer leur attention et à l’autre moitié qu’elle allait épuiser leurs capacités attentionnelles limitées. Résultats : les participants du premier groupe qui avaient des attentes positives par rapport à l’attention ont effectivement amélioré leurs performances attentionnelles, et ceux du deuxième groupe les ont vues diminuer ! La signification que l’on donne à l’exercice de la méditation façonne ses effets subséquents sur notre pensée et même sur notre biologie.

Lifshitz et Thompson concluent leur article en en appelant à une science de la méditation qui doit aller plus loin que la seule recherche des changements cérébraux associés. Car ce que la pratique méditative révèle, c’est justement que notre pensée et notre bien-être sont intrinsèquement liés à notre corps et à notre contexte écologique et social au sens large. Un contexte qui peut lui permettre autant d’être un outil d’émancipation et de remise en question qu’une soupape permettant d’endurer le système en place et ses méfaits.

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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