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mardi, 9 avril 2019
Des réseaux… à tous les niveaux !

On dit qu’une image vaut mille mots. Celle qui m’a inspiré ce billet vaut plutôt pour moi mille niveaux. En tant qu’auteur d’un site qui s’appelle le Cerveau à tous les niveaux, je n’échappe pas à mon « karma » ! Cette image provient des travaux d’Ezequiel Di Paolo, un neurobiologiste dont j’ai déjà parlé ici et qui s’inscrit dans la grande mouvance de la cognition incarnée initiée entre autres par Francisco Varela au début des années 1990. Il s’agit d’une représentation schématique d’un réseau autopoïétique qui permet de comprendre cette définition minimale de la vie proposée par Varela et Humberto Maturana durant les années 1970.

« Notre proposition est que les êtres vivants sont caractérisés par le fait que, littéralement, ils sont continuellement en train de s’auto-produire. », écrivent Maturana et Varela à la page 32 de L’arbre de la connaissance.

Les points noirs du schéma illustrent donc ici les innombrables macromolécules biologiques (protéines, lipides, etc.) qui entretiennent de nombreuses relations entre elles leur permettant de s’auto-produire, se répliquer, se réparer. On voit que ces points noirs formant un réseau tissé serré n’est toutefois pas complètement isolé de son milieu. Il baigne en effet dans un environnement avec lequel il entretient aussi des liens, quoi que plus ténus. Il s’agit en fait davantage d’une ouverture sur le plan thermodynamique. En d’autres termes, la cellule (puisque c’est bien ce dont on parle ici) a besoin de nutriments énergétiques en provenance du monde extérieur et va rejeter dans celui-ci des déchets.

On pourrait discuter longtemps des nuances à apporter à ce modèle. Varela et Maturana insistaient eux-mêmes sur le fait que le système autopoïétique, bien que devant être ouvert sur le plan thermodynamique, demeurais clos sur le plan des opérations qu’effectuent les éléments du système. Pour eux, c’est cette « clôture opérationnelle » qui permet l’émergence de l’autonomie d’un agent, ici une simple cellule. D’autres comme Di Paolo ont par exemple insisté sur un autre type de transformation que subit un tel réseau autopoïétique. Il s’agit des nouvelles structures et des nouvelles connexions qui vont voir le jour dans les systèmes vivants. Des changements qui sont donc davantage développementaux au sens général du terme (incluant donc l’idée de plasticité constante du système) plutôt qu’uniquement cyclique comme dans la simple dimension d’autoproduction. Et ces changements structuraux vont émerger soit suite aux interactions de l’agent avec son environnement, soit comme le résultat de la dynamique interne propre au système.

Mais revenons à notre schéma. J’ai insinué au début de ce billet qu’il pouvait être valable pour décrire différents niveaux d’organisation. Et c’est effectivement ce qui fait sa force et sa beauté. Car qu’arrive-t-il lorsqu’on considère maintenant les points noirs non plus comme des enzymes d’un réseau métabolique à l’intérieur d’une cellule, mais comme eux-mêmes des cellules ? Eh bien on se retrouve à avoir une représentation schématique du tissu cellulaire d’un organe ! Encore une fois, chaque élément cellulaire (les points noirs) entretient des relations privilégiées avec les autres de cet organe (foie, rein, muscle, etc.). Chacune se trouve ainsi informée des besoins de l’ensemble de l’organisme afin de l’aider à maintenir son homéostasie, son équilibre biologique. Bref, de rester en vie.

On se doit bien entendu de signaler au passage le cas d’un organe bien particulier : notre cerveau. Avec ses milliards de neurones et de cellules gliales, forme un réseau d’une complexité inouïe. Et ici, les échanges symbolisés par les flèches noires sont les influx nerveux le long des prolongements neuronaux (dendrites et axone) ainsi que les neurotransmetteurs, ces molécules excrétées dans la fente synaptique qui constituent la partie chimique de la communication neuronale. Et, évidemment, ce réseau cérébral est influencé par ce qui se passe dans le monde extérieur par l’entremise de nos récepteurs sensoriels et des neurones du même nom qui leur sont associés. Influencé, ou perturbé, comme disait Varela, mais pas déterminé par ce qui se passe dans le monde extérieur car comme pour le réseau autopoïétique le système nerveux a sa propre dynamique autonome.

On peut ensuite continuer à remonter les niveaux d’organisation en interprétant maintenant les points noirs de notre schéma comme étant tous les organes d’un organisme pluricellulaire ! Les nombreuses flèches noires les reliant symbolisant ici la grande diversité de neurohormones qui circulent dans l’organisme et qui permettent une coordination globale des fonctions des différents organes d’un organisme pluricellulaire. Et encore une fois, cet organisme puise dans son environnement extérieur (les points gris) les ressources qui assurent sa survie et sa reproduction (trouver à manger, à boire, à s’abriter, à courtiser…)

Qu’arrive-t-il maintenant si chaque point noir est considéré comme un individu, un individu de l’espèce humaine, comme vous ou moi par exemple ? Eh bien ça marche encore ! Chaque individu entretient des liens privilégiés avec ses proches, sa famille et ses ami.es, et se situe toujours en même temps dans des groupes humains plus vastes, celui de son quartier, de sa ville, de sa province, de son pays. Et à chaque fois il forme un réseau où il entretient des liens plus serrés avec certains éléments, mais se trouve en même temps immergé dans un ensemble plus grand. Et les frontière qui le distingue de cet ensemble plus vaste ne sont jamais complètement étanche, il y a toujours des échanges, des perturbations venant de l’extérieur et auxquelles le réseau devra réagir pour s’y adapter.

Comme le disaient si bien Fritjof Capra et Pier Luigi Luisi dans leur très beau livre The Systems View of Life: A Unifying Vision :

« Whenever we look at life, we look at networks.”

Comme quoi si une image vaut mille mots, une phrase peut parfois aussi évoquer mille images.

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