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mardi, 24 juillet 2018
Podcasts sur la nature biologique de notre « esprit »

Les vacances estivales sont bien sûr faites pour se reposer. Et quoi de mieux pour ce faire que d’écouter, en déambulant dans la nature, quelques bons podcasts sur la nature biologique de notre « esprit » ! 😉 C’est donc de deux de ces podcasts tournant autour de ce thème dont j’aimerais vous parler cette semaine.

Je dois d’abord admettre que je n’aime pas trop mon titre à cause du mot «esprit» qui renvoie à un dualisme poussiéreux qui est l’exact opposé du contenu de ces podcasts. L’anglais dispose au contraire du mot «mind» beaucoup plus neutre quand il s’agit d’évoquer le caractère subjectif de nos processus de pensée.

Mais en même temps, si je l’ai choisi ce titre, c’est qu’il m’oblige à évoquer d’entrée de jeu ce dualisme qui est un peu l’éléphant dans la pièce. Et il se décline, en plus, en différentes saveurs. Bien sûr il y a la classique distinction cartésienne entre la chose étendue et la chose pensante, entre le corps et l’esprit. Mais il y a aussi celle entre le cerveau et le reste du corps, peut-être plus insidieuse. Et celle entre l’individu et le reste de son environnement, enocre et toujours prise pour une évidence. Dans tous les cas, donc, la tradition et « le gros bon sens » nous amène naturellement à penser les deux termes de chaque dichotomie comme des choses clairement distinctes. Et dans tous les cas, nous avons tort, nous disent les sciences cognitives contemporaines. Et plus particulièrement les deux scientifiques interviewés dans les podcasts dont j’aimerais vous parler cette semaine.

Le premier est l’épisode de juin de Brain Science où Ginger Campbell s’entretient avec Alan Jasanoff au sujet de son livre The Biological Mind: How Brain, Body, and Environment Collaborate to Make Us Who We Are. Jasanoff s’en prend à ce qu’il appelle une certaine « mystique du cerveau », c’est-à-dire cette emphase que l’on met sur « l’objet » cerveau, comme s’il avait sa vie propre, déconnectée de l’organisme qui le porte. Il rappelle qu’au contraire le cerveau fait partie de ce corps soumis à l’impératif biologique de rester en vie (repoussant ainsi le plus longtemps possible la victoire de l’entropie, du second principe de la thermodynamique, bref de la mort).

Car si des cellules se sont spécialisées en neurones capables de communiquer rapidement grâce à l’influx nerveux, c’est essentiellement pour trouver dans ce monde les ressources nécessaires à notre survie. Et comme contrairement aux plantes les animaux ne peuvent pas transformer directement l’énergie du soleil pour fabriquer ses composantes (par la photosynthèse), ils ont développé des systèmes nerveux pour percevoir le monde et s’y déplacer pour aller chercher leur nourriture (et éventuellement ses partenaires de reproduction). Et la céphalisation croissante que l’on observe chez les vertébrés et qui aboutit au cerveau humain est donc indissociable de cet impératif de maintenir notre homéostasie, l’équilibre biologique de notre milieu intérieur.

On voit bien, dans ces conditions, comment penser le cerveau sans le corps n’a pas de sens. C’est pourtant ce que l’on fait encore trop souvent, comme hypnotisés par les belles couleurs de l’imagerie cérébrale qui mettent l’accent sur l’activation de telle ou telle région cérébrale.

* * *

C’est ce qui m’amène à vous parler du second podcast qui va dans le même sens que le premier, mais je dirais par des voies plus surprenantes. Car l’invité du podcast de Sam Harris, Anil Seth, ne dit pas seulement que le « human mind » est le produit de l’interaction constante du cerveau, du corps et de son environnement. À l’instar du philosophe Andy Clark dont on a récemment parlé sur ce blogue, Seth défend l’idée que ces interactions sont essentielles pour l’émergence de phénomènes conscients.

Il m’est tout à fait impossible de résumer ici les 3h (!) de cet échange fascinant où sont tour à tour abordés des sujets reliés à l’étude scientifique de la conscience humaine (ses différents niveaux, à quel moment elle émerge au cours de l’évolution, etc.), à la perception, aux émotions et aux différents cadres théoriques qui tentent d’unifier tout ça (le localisationnisme dépassé, la synchronisation d’activité neuronale, intéressante mais insatisfaisante, et plus récemment les prometteurs « predictive processing » et « integrated information theory »). Sans oublier la question du sentiment d’être « soi » et de la possibilité d’une éventuelle conscience de l’intelligence artificielle. Des petits sujets, quoi.

Disons que Seth (sur la photo ci-dessous), qui est professeur de neurosciences cognitives et computationnelles à l’Université de Sussex et co-directeur fondateur du Sackler Centre for Consciousness Science, est bien placé pour aider à clarifier tous ces sujets brûlants d’actualité tout en leur apportant une perspective historique et épistémologique précieuse (il a travaillé avec le prix Nobel Gerald Edelman, auteur du classique Biologie de la conscience, de 2001 à 2006)..

Je me contenterai donc d’en extraire quelques « matière à pensée » (pour évoquer un autre dialogue classique sur la matérialité biologique de la pensée) qu’on gagnera à réécouter dans leur contexte.

Ainsi, vers la 26e minute, Seth rappelle que le langage est un critère par trop anthropocentrique pour juger de la conscience d’un être vivant. Le langage influence sans contredit nos expériences conscientes. Mais pour lui, il est indéniable par exemple que les autres mammifères ont différents types d’états conscients (et probablement les oiseaux aussi ajoute-t-il, ce qui rejoint ce qu’on a pu entendre à la récente école d’été sur la cognition animale).

Et même la pieuvre, sur laquelle il enchaîne ensuite. Difficile de ne pas lui attribuer d’états conscients tellement ses comportements sont élaborés. Mais il s’agit sans doute d’états conscients fort différents des nôtres, autre point fondamental souligné par Seth. À savoir, le fait qu’il y a peut-être autant de formes de consciences possibles qu’il y a de formes de systèmes nerveux… donc également, sous des formes peut-être moindres mais néanmoins présentes, chez les poissons, les insectes, le vers, etc.

Pas relié directement au « biological mind », mais à partir de 43 : 30, très claire explication du principe de « predictive processing » ! (et ici une réflexion critique sur l’engouement parfois excessif pour cette approche théorique…)

À partir de 1 :05 :00, Seth rappelle que les systèmes nerveux ont non seulement évolué pour permettre une action efficace sur le monde, mais surtout pour une raison encore plus fondamentale, celle de maintenir l’organisme en vie (on y revient toujours…). Et donc la perception première concerne celle du milieu intérieur de notre corps afin de le toujours maintenir ses paramètres physiologiques dans une certaine fenêtre de viabilité. C’est ce qu’on appelle l’intéroception.

Seth, qui a écrit plusieurs articles sur l’intéroception, rappelle que notre cerveau doit constamment, comme pour les stimuli en provenance du monde extérieur, faire des prédictions et des inférences au sujet des signaux qui lui parviennent de ses organes internes. Mais contrairement au monde extérieur où il cherche à individualiser les objets qui s’y trouvent pour interagir avec eux, l’état du corps est perçu dans sa globalité, avec des affects moins bien définis du bien-être ou du mal-être qui forment la base de nos émotions.

Finalement à 1 :11 :00, cette intervention qui « sonne comme de la musique à mes oreilles » et que je paraphraserais ainsi :

« Bien comprendre que nos perceptions et nos actions ont toujours lieu en fonction de ces régulations intéroceptives permet de nous distancier un peu de toutes ces associations rapides qui sont faites entre les processus conscients et les processus de haut niveau comme le langage. Au contraire, cela les enracine dans les mécanismes beaucoup plus fondamentaux de la vie elle-même.

La vie ne fournirait donc pas seulement une belle analogie pour comprendre l’évolution de nos théories par rapport à la conscience (i.e. le passage de quelque chose de mystérieux et d’insaisissable à une compréhension de ses mécanismes explicables en termes d’activité métabolique, etc.), mais qu’il y a des connexions très profondes et nécessaires entre les mécanismes du vivant et la façon dont on perçoit consciemment et inconsciemment le monde et nous-même dans ce monde. »

* * *

Comme ce billet est long pour cause de « deux pour un » en quelque sorte, je n’écrirai pas de billet la semaine prochaine et en profiterai plutôt pour aller pagayer sur un lac… peut-être en écoutant un autre passionnant podcast !

Au coeur de la mémoire | Comments Closed


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