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lundi, 20 mars 2017
Une première carte sémantique sur le cortex humain

Il y a de ces études qui sortent avec une vidéo et qui, pour le meilleur ou pour le pire, attire notre attention et nous arrachent spontanément un “wow” d’admiration. C’est le cas de celle dont j’aimerais vous parler aujourd’hui qui me semble plutôt du « bon côté de la Force »…

L’étude publiée en avril dernier dans la revue Nature est le fruit du travail d’Alexander Huth et de son équipe. Intitulée « Natural speech reveals the semantic maps that tile human cerebral cortex”, elle dresse pour la première fois une carte sémantique de nombreux concepts et mots entendus dans un récit. Les caractéristiques de cette carte sémantique et les techniques complexes qui ont été nécessaires pour l’établir sont résumées dans la page explicative du laboratoire de Jack Gallant, le chercheur sénior associé à cette étude. Voilà un effort de vulgarisation sous forme de FAQ sur l’étude et la vidéo qui la présente qui mérite d’être souligné. Si vous lisez l’anglais, vous y trouverez détails essentiels pour comprendre ces fascinants travaux. Sinon, je vous résume ce résumé ci-dessous…

Mais juste avant, rappelons deux ou trois trucs sur la mémoire pour bien comprendre de quoi il est ici question. On a hérité de notre longue évolution différents systèmes de mémoire qui cohabitent et interagissent dans notre cerveau. Comme nous sommes de drôles de bestioles parlantes, nous avons développé un type de mémoire associé à cette faculté, la mémoire dite déclarative. C’est elle qui est mise en jeux dès que l’on se rappelle quelque chose avec le langage, que ce soit un souvenir personnel (mémoire épisodique) ou l’une de nos nombreuses connaissances générales sur le monde (mémoire sémantique).

Dans les deux cas, on sait qu’une structure particulière de notre cerveau, l’hippocampe, est très impliquée dans l’encodage et le stockage temporaire de ce type de souvenirs. Je dis temporaire car de nombreux cas de lésion, dont le fameux patient H.M., ont montré qu’après quelques années les souvenirs se retrouvent stockés dans l’ensemble de notre cortex (l’hippocampe est aussi du cortex, mais une toute petite et très ancienne portion de celui-ci). Et c’est donc sur cette vaste surface corticale que l’étude d’aujourd’hui a réussi à cartographier des contenus sémantiques commun à toutes les personnes parlant une même langue.

Un mot encore, avant de détailler un peu ce que cette carte dit et ce qu’elle ne dit pas, sur la trace physique d’un souvenir dans notre cerveau. Loin d’être stockée comme les « 0 » et les « 1 » d’un ordinateur, les traces de nos souvenirs se matérialisent dans ce qu’on appelle des « engrammes ». Un engramme est simplement une assemblée ou une coalition de neurones dont les connexions ont été renforcées et qui ont donc tendance à s’activer préférentiellement ensemble. Et c’est cette activation qu’un appareil d’imagerie cérébrale par résonance magnétique fonctionnelle (fIRM) peut capter si telle ou telle région est par exemple « réveillée » par l’écoute de mots dans un récit lu au sujet, comme dans le cas de l’étude qui nous intéresse ici.

Le premier phénomène que cette étude montre clairement est que c’est l’ensemble du cortex de nos deux hémisphères cérébraux qui est impliqué dans la représentation de domaines sémantiques spécifiques (mots, concepts, etc.).

La deuxième observation, qui confirme l’organisation en réseaux du cerveau, est qu’un domaine sémantique donné est représenté à plusieurs endroits tant dans l’hémisphère gauche que dans l’hémisphère droit. Cela appuie ce que d’autres travaux avaient commencé à montrer, à savoir que l’hémisphère droit participe autant que le gauche (l’hémisphère dit « dominant » pour le langage chez la majorité des gens) à la compréhension du langage.

Cela montre aussi à quel point il n’y pas de « centre de » quoi que ce soit dans le cerveau et que la spécialisation cérébrale stricte y est rarissime, comme le rappelait Michael Anderson dans son livre After Phrenology en s’appuyant, entre autres, des travaux de Russell Poldrack sur les activations plus fréquentes de l’aire de Broca pour des tâches non langagières que liées au langage.

Mais pour en revenir à la carte sémantique de Huth et ses collègues, elles viennent raffiner ce que certains appellent, comme Laurence Barsalou, des représentations « modales », c’est-à-dire une implication des régions sensori-motrices pour représenter des concepts, même abstraits (ce que les conceptions amodales du cognitivisme de la première heure se refusait à faire). Je pense à l’exemple donné dans la vidéo de concepts comme « rayé » ou « coloré » qui se retrouvent naturellement engrammés dans le cortex visuel.

Enfin, même si les cartes sémantiques de différents individus se distinguent dans les détails, il est clair en les considérant dans leur ensemble que les mêmes genres de concepts sont représentés dans à peu près les mêmes régions corticales. Et cela est tout à fait en accord avec les deux grandes influences qui structurent le système nerveux humain : les plans généraux de nos grandes voies nerveuses qui sont communes à tous parce que codés par nos gènes, eux-mêmes le résultat de notre longue histoire évolutive; et une variabilité dans les « petites routes » de ces connexions due aux interactions d’un individu avec son environnement depuis son plus jeune âge. C’est la métaphore du torrent, pour qui connaît mon faible pour celle-ci.

Car comme le dit si bien Hélène Trocme-Fabre, « apprendre, c’est accueillir le nouveau dans le déjà là ». Cette carte sémantique confirme de belle façon que nous avons tendance à créer l’engramme d’un nouveau concept aux endroits de notre cerveau où sont déjà engrammés des concepts similaires.

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